
Cibem : La Fin d’un Pilier du Fromage Normand
Imaginez une usine centenaire, nichée au cœur de la Normandie, où le parfum du bois fraîchement coupé se mêle à l’héritage fromager. Depuis des décennies, l’entreprise Cibem, à Saint-Pierre-en-Auge, fabrique les emblématiques boîtes en bois qui abritent les camemberts les plus célèbres de France. Mais en septembre 2025, une annonce brutale a ébranlé cette petite commune : l’usine fermera ses portes en 2026, menaçant 104 emplois. Comment une institution si ancrée dans le tissu local peut-elle s’effondrer ainsi ?
Une Fermeture Inattendue pour Cibem
Le 30 septembre 2025, la direction de Cibem a lâché une bombe : l’usine cessera ses activités dans moins de deux ans. Cette décision, qualifiée de « brutale » par les syndicats, survient après des années de difficultés financières et la perte d’un contrat clé avec Camembert Président. Rachetée en 2011 par Snec, une filiale du géant Lactalis, l’entreprise n’a jamais retrouvé la rentabilité, malgré des investissements conséquents. Mais qu’est-ce qui a précipité cette chute ?
Les Racines d’une Crise Économique
Depuis son rachat, Cibem lutte contre une situation déficitaire chronique. Selon les syndicats, les pertes annuelles avoisinent les 4 millions d’euros. Malgré un investissement de 25 millions d’euros par Lactalis pour moderniser l’usine, la compétitivité n’a pas suivi. La perte du contrat avec Camembert Président, attribué à un concurrent, a porté un coup fatal. Les commandes de Noël, habituellement un pic d’activité, ont été redirigées ailleurs, laissant l’usine dans une situation critique.
C’est très brutal. On nous parlait de masse salariale trop lourde, mais personne ne s’attendait à une fermeture totale.
– Valérie Prévost, déléguée CFDT chez Cibem
Les raisons de cette crise ne se limitent pas à la perte d’un client majeur. La direction évoque une baisse continue des commandes et une perte de compétitivité face à des concurrents plus agiles. Certains, comme Valérie Prévost, s’interrogent sur la stratégie adoptée : pourquoi investir dans des machines coûteuses sans diversifier l’offre, par exemple vers des emballages plastiques ?
Un Héritage Normand en Péril
Fondée au cœur du berceau fromager normand, Cibem incarnait une tradition séculaire. À son apogée, l’usine employait plus d’un millier de personnes, façonnant les boîtes en bois qui protégeaient les fromages emblématiques de la région. Mais en 2011, lors de son rachat par Snec, le site était déjà vétuste. Les efforts de modernisation n’ont pas suffi à inverser la tendance. Aujourd’hui, la fermeture menace non seulement les emplois, mais aussi l’identité d’une commune où Cibem est le deuxième employeur.
Les habitants de Saint-Pierre-en-Auge ressentent cette annonce comme un coup de massue. Les larmes ont coulé lors de la réunion du 30 septembre, témoignant de l’attachement des salariés à leur usine. La perspective d’un plan social, avec des propositions de reclassement, ne rassure pas tout le monde. Comme l’explique Valérie Prévost, « tout le monde ne pourra pas saisir ces opportunités, surtout dans une région où les emplois industriels se raréfient ».
Les Défis de l’Industrie de l’Emballage
L’industrie de l’emballage alimentaire fait face à des mutations profondes. Les consommateurs exigent des solutions plus durables, tandis que les coûts de production augmentent. Cibem, spécialisé dans les boîtes en bois, n’a pas su s’adapter à ces évolutions. Alors que certains concurrents ont investi dans des matériaux alternatifs comme le plastique ou les emballages biosourcés, Cibem est resté ancré dans son savoir-faire traditionnel. Cette rigidité stratégique a contribué à sa chute.
Pour mieux comprendre les défis auxquels Cibem était confronté, voici quelques points clés :
- Concurrence accrue : Les concurrents ont diversifié leurs offres, proposant des emballages moins coûteux.
- Perte de clients : La défection de Camembert Président a amputé une part significative du chiffre d’affaires.
- Investissements mal ciblés : Les nouvelles machines, comme celles pour les bourriches d’huîtres, n’ont pas trouvé preneur.
La question se pose : aurait-il été possible de diversifier la production pour sauver l’usine ? Certains experts estiment que l’emballage en bois, bien que durable, peine à rivaliser avec des alternatives moins chères dans un marché hyperconcurrentiel.
Quel Avenir pour les Salariés et la Région ?
La fermeture de Cibem, prévue pour l’été 2026, laisse peu d’espoir quant à une reprise. Bien que la direction recherche officiellement un repreneur, les syndicats restent pessimistes. Une réunion préparatoire au plan social est prévue le 9 octobre 2025, mais les salariés s’attendent à des propositions de reclassement limitées. Dans une région où l’industrie est déjà fragilisée, cette fermeture pourrait avoir des répercussions économiques et sociales importantes.
Les gens pleuraient à l’annonce. C’est une part de notre histoire qui s’en va, et avec elle, des emplois qu’on ne remplacera pas facilement.
– Valérie Prévost, déléguée CFDT chez Cibem
Les syndicats envisagent des actions pour faire entendre leur voix. Mais au-delà des manifestations, c’est tout un modèle économique qui est interrogé. La Normandie, fière de son patrimoine fromager, perd un acteur clé. Les habitants craignent que cette fermeture ne soit qu’un symptôme d’une désindustrialisation plus large.
Vers une Réinvention de l’Emballage en Bois ?
Face à ce constat, certains experts appellent à une réinvention de l’industrie de l’emballage en bois. Ce matériau, perçu comme écologique et authentique, pourrait trouver un second souffle dans des secteurs comme le luxe ou les produits biosourcés. Des start-ups, ailleurs en France, explorent déjà des solutions innovantes, comme des emballages en bois recyclé ou modulables. Cibem aurait-elle pu emprunter cette voie ?
Pour illustrer les opportunités manquées, voici un tableau comparatif des stratégies possibles :
Stratégie | Avantages | Inconvénients |
---|---|---|
Diversification vers le plastique | Coûts réduits, large marché | Moins écologique, forte concurrence |
Innovation biosourcée | Alignement avec la transition écologique | Investissements initiaux élevés |
Maintien du bois traditionnel | Valorisation de l’héritage | Manque de compétitivité |
Ce tableau montre que des alternatives existaient, mais elles nécessitaient une vision stratégique à long terme, que Cibem n’a pas su adopter. Les concurrents, plus agiles, ont su tirer parti de ces opportunités.
Un Symbole de la Fragilité Industrielle
La fermeture de Cibem n’est pas un cas isolé. Elle reflète les défis auxquels font face de nombreuses PME industrielles en France, confrontées à la mondialisation, à la hausse des coûts et à des changements de consommation. Dans le secteur de l’emballage, la transition vers des solutions durables est une opportunité, mais elle exige des investissements massifs et une agilité que les petites structures peinent à mobiliser.
Pour les salariés de Cibem, l’avenir reste incertain. Certains espèrent une mobilisation collective pour sauver l’usine, mais le temps presse. La fermeture, si elle se confirme, marquera la fin d’une époque pour Saint-Pierre-en-Auge et pour l’industrie normande.
Et Après ?
Alors que l’usine se prépare à fermer, des questions subsistent. La Normandie peut-elle rebondir en misant sur de nouvelles industries, comme les emballages biosourcés ou les technologies vertes ? Les pouvoirs publics et les acteurs locaux sauront-ils accompagner les salariés dans cette transition ? Une chose est sûre : l’histoire de Cibem rappelle que l’industrie, même ancrée dans la tradition, doit se réinventer pour survivre.
En attendant, les 104 salariés de Cibem se battent pour leur avenir. Leur combat, loin d’être isolé, incarne les défis de toute une région. Et si cette fermeture était l’occasion de repenser l’industrie normande, en misant sur l’innovation et la durabilité ? L’avenir nous le dira.