Crier Sur Les Mouettes Marche Vraiment

Imaginez la scène : vous êtes enfin installé sur le sable chaud, votre cornet de frites encore fumant à la main, et là… une ombre blanche fond sur vous plus vite qu’un drone de livraison. En une fraction de seconde, votre déjeuner a disparu. Classique. Tout le monde a vécu ça au moins une fois. Et si je vous disais qu’il existe une arme secrète, gratuite, légale et scientifiquement prouvée pour faire déguerpir ces pirates des airs ?

Crier, oui… mais pas n’importe comment

Des chercheurs de l’Université d’Exeter (Royaume-Uni) se sont sérieusement penchés sur la question qui nous taraude tous l’été : comment protéger nos encas sans transformer la plage en champ de bataille ? Leur conclusion, publiée en novembre 2025 dans Biology Letters, est aussi simple qu’inattendue : criez fort, avec une voix d’homme, et la mouette prendra la fuite en moins de cinq secondes.

Parler calmement ? Ça fonctionne un peu (elles hésitent), mais la plupart restent plantées là, l’air de dire « vas-y, continue, je t’écoute ». Chanter comme un pinson ? Zéro effet. Par contre, dès que le ton monte et que la voix devient agressive – même à volume égal –, c’est la débandade aérienne garantie.

Le protocole de l’expérience (et pourquoi il est malin)

Les scientifiques ont déposé un petit seau de frites bien appétissant au sol dans neuf villes côtières britanniques. Dès qu’un goéland argenté (Larus argentatus, la star des plages européennes) s’approchait, ils déclenchaient un enregistrement audio. Trois versions étaient testées :

• Une voix masculine neutre : « Non, reste loin, c’est ma nourriture »
• La même phrase, mais criée avec agressivité
• Le chant d’un rouge-gorge (le groupe témoin neutre)

Résultat ? Sur 61 mouettes observées, le cri agressif a provoqué un envol immédiat dans la majorité des cas. Le ton calme faisait juste ralentir ou reculer à pied. Quant au rouge-gorge… elles ont à peine levé une plume.

« Ce qui est fascinant, c’est que le volume était identique dans tous les enregistrements. Ce n’est donc pas le bruit qui les effraie, mais bien la manière dont les mots sont prononcés. »

– Dr Neeltje Boogert, Université d’Exeter

Les mouettes comprennent-elles vraiment le ton de notre voix ?

Jusque-là, on pensait que seuls les animaux domestiqués depuis des millénaires (chiens, chevaux, cochons) étaient capables de décoder les nuances émotionnelles humaines. Cette étude suggère que les goélands urbains, qui vivent parmi nous depuis des décennies, ont développé la même sensibilité. Ils ne comprennent pas les mots, bien sûr, mais ils captent parfaitement la menace dans l’intonation.

C’est une forme d’adaptation fulgurante : en quelques générations seulement, ces oiseaux ont appris à lire nos émotions vocales mieux que beaucoup d’espèces sauvages. Preuve que la cohabitation forcée avec l’homme modifie profondément les comportements animaux.

Pourquoi les voix masculines marchent-elles mieux ?

L’étude n’a testé que des voix d’hommes (limite reconnue par les chercheurs eux-mêmes). On peut supposer que les fréquences plus graves portent une menace plus crédible aux oreilles des mouettes – un peu comme dans le règne animal où les sons graves signalent souvent une taille ou une force supérieure.

Mais attention, mesdames : rien ne dit que votre plus beau cri de guerre ne fonctionnerait pas. Des lectrices américaines rapportent déjà tester leur voix la plus grave sur les plages du New Jersey… avec succès apparemment !

Une solution pacifique dans un contexte tendu

Les goélands argentés sont classés espèce préoccupante pour la conservation en Europe. Leur population a chuté de plus de 50 % en cinquante ans en dehors des zones urbaines. Paradoxalement, c’est en ville et sur les côtes touristiques qu’ils pullulent, attirés par nos déchets et notre générosité involontaire.

Résultat : ils sont devenus les boucs émissaires parfaits. On leur jette des pierres, on les course, on les insulte (littéralement). Cette étude arrive au bon moment pour rappeler qu’on peut les repousser sans violence physique.

« La plupart des goélands ne sont pas assez audacieux pour voler directement dans les mains. Ils ont été diabolisés à tort. Cette expérience montre qu’on peut les éloigner pacifiquement. »

– Dr Neeltje Boogert

Les autres techniques validées par la science

Crier n’est pas la seule arme non létale dans notre arsenal :

• Le regard fixe : une étude de 2019 (même université) avait montré que fixer une mouette dans les yeux pendant 20-30 secondes la faisait renoncer dans 80 % des cas.
• Manger sous un abri : parasol, tente de plage ou simple serviette tendue au-dessus de la tête = zone protégée.
• Ne jamais nourrir volontairement : c’est la base, mais rappelons-le : chaque frite lancée = 10 mouettes en plus l’année suivante.

Et demain ? Des applications anti-mouettes ?

On plaisante à peine. Certains imaginent déjà des haut-parleurs automatiques sur les terrasses de restaurants qui détectent l’approche d’un oiseau et diffusent le cri magique. D’autres pensent à une appli qui génère le son parfait selon votre voix (grave pour les hommes, peut-être un registre différent pour les femmes).

Plus sérieusement, cette recherche ouvre la voie à des méthodes de gestion non létale de la faune urbaine : corbeaux, pigeons, renards… Nos villes regorgent d’animaux opportunistes. Comprendre comment ils perçoivent nos signaux pourrait nous éviter bien des conflits.

Alors la prochaine fois qu’une mouette lorgne sur votre sandwich, souvenez-vous : pas besoin de courir ni de jeter votre chaussure. Regardez-la dans les yeux, prenez votre voix la plus grave et… lâchez un bon « C’EST À MOI ! »

La science vous remercie. Et votre déjeuner aussi.