
Crise du Capital-Risque Canadien : Un Réveil Nécessaire
Et si le moteur des startups canadiennes s’essoufflait ? À l’aube de la conférence Invest Canada à Calgary, le secteur du capital-risque traverse une tempête sans précédent. Les chiffres récents dressent un tableau préoccupant : une chute des investissements, une dépendance croissante aux fonds étrangers et des rendements en berne. Pourtant, au cœur de cette crise, des voix s’élèvent pour appeler à un sursaut collectif. Alors, le Canada peut-il transformer ce défi en opportunité ?
Une industrie à la croisée des chemins
Le secteur du capital-risque canadien, autrefois porté par l’élan des startups technologiques, semble aujourd’hui à bout de souffle. Selon un rapport récent de la CVCA, le premier trimestre 2025 marque un creux historique, avec une baisse significative des deals et un pipeline de startups en phase précoce au plus bas depuis cinq ans. Cette situation, amplifiée par un contexte économique incertain, soulève une question cruciale : le modèle actuel est-il viable ?
Un marché en chute libre
Les données parlent d’elles-mêmes. En 2024, seulement 17 fonds de capital-risque ont levé un total de 2 milliards de dollars, une baisse notable par rapport à l’année précédente. La taille moyenne des fonds a également diminué, et les gestionnaires émergents peinent à attirer les investisseurs. Ce repli reflète une prudence accrue des limited partners (LPs), qui hésitent à soutenir des fonds sans antécédents solides dans un marché où les exits sont rares.
Si nous ne performons pas, nous devons nous regarder dans le miroir et nous demander pourquoi nos rendements ne sont pas à la hauteur.
– Yuri Navarro, associé gérant chez Kanata Ventures
Cette frilosité s’explique aussi par un marché des exits atone. En 2024, aucune startup soutenue par du capital-risque n’a fait son entrée en bourse, et les fusions-acquisitions ont atteint leur plus bas niveau depuis 2020, avec une valeur médiane d’exit de seulement 30 millions de dollars. Cette situation prive les fonds de liquidités, rendant encore plus difficile la levée de nouveaux capitaux.
Une dépendance problématique aux fonds étrangers
Un autre signal d’alarme retentit : la dépendance croissante aux investisseurs étrangers, notamment américains. En 2024, les investisseurs canadiens n’ont représenté que 22 % des montants investis, bien qu’ils aient participé à 61 % des deals. Les méga-deals, comme celui de Clio, qui a levé 1,24 milliard de dollars en juillet 2024 grâce à des fonds exclusivement américains, masquent temporairement la faiblesse du marché domestique.
Cette dépendance soulève des inquiétudes, surtout dans un contexte de tensions commerciales. Avec une possible réduction des investissements américains en 2025, le Canada risque de se retrouver démuni. Geneviève Bouthillier, vice-présidente exécutive de BDC Capital, appelle à un « réveil collectif » pour renforcer l’investissement domestique.
Un écosystème dominé par les acteurs publics
Le rôle des institutions publiques, comme BDC Capital et Export Development Canada (EDC), est devenu central. En 2024, ces deux entités ont participé à des tours de financement totalisant 2,1 milliards de dollars, soit une part significative des 7,86 milliards investis dans l’écosystème. Si leur présence stabilise le marché, elle suscite aussi des critiques.
BDC agit comme une main stabilisatrice, mais sa domination n’est pas un signe de bonne santé pour l’écosystème.
– Matt Roberts, ancien gestionnaire de fonds VC
Certains acteurs estiment que la forte présence de BDC fausse la dynamique du marché, en marginalisant les fonds privés et en limitant l’émergence de nouveaux gestionnaires. BDC a récemment réorienté sa stratégie, privilégiant les investissements directs dans les startups à un stade avancé, avec 950 millions de dollars engagés dans deux véhicules d’investissement.
Des signaux positifs dans la tempête
Malgré ces défis, des lueurs d’espoir émergent. Le rapport de BDC note une diminution des down rounds (investissements à une valorisation inférieure au tour précédent), qui ne représentent plus que 18 % des deals en 2024, contre 31 % l’année précédente. De plus, l’écosystème dispose encore d’un dry powder de 11 milliards de dollars, offrant une marge de manœuvre pour les investissements futurs.
L’intelligence artificielle (IA) reste un moteur de croissance. Les startups IA représentent 25 % des entreprises canadiennes valorisées à plus de 100 millions de dollars. Ce dynamisme attire les investisseurs, qui valorisent ces entreprises à des niveaux élevés, portés par des gains de revenus rapides.
Les startups réinventent leur financement
Face à la raréfaction des fonds, certaines startups adoptent des stratégies alternatives. Le seed-strapping, qui consiste à s’appuyer sur les revenus après un premier tour de financement, gagne en popularité. Ce modèle, facilité par les outils d’IA, permet aux entreprises de croître avec des équipes réduites.
Janet Bannister, fondatrice de Staircase Ventures, observe que cette tendance reflète une dynamique plus large, également visible aux États-Unis. « Les startups optimisent leurs opérations grâce à l’IA, réduisant leur dépendance aux levées de fonds massives », explique-t-elle. Cette résilience pourrait redéfinir le rôle des VCs dans l’écosystème.
Un regard critique sur les performances
Les rendements des fonds canadiens restent un point sensible. Le rapport de BDC révèle des taux de rendement interne (IRR) négatifs sur un et trois ans, avec un IRR à 10 ans tombant à 10 %, contre 11,7 % l’année précédente. Cette sous-performance alimente les doutes des investisseurs institutionnels, qui pourraient se détourner vers d’autres classes d’actifs.
Pour inverser la tendance, les VCs doivent repenser leurs stratégies. Yuri Navarro propose d’adopter une mentalité de startup : « Nous devons nous réinventer, tester de nouvelles approches et prouver notre valeur aux LPs. » Cette introspection est cruciale pour regagner la confiance des investisseurs.
Perspectives pour l’avenir
La conférence Invest Canada arrive à un moment charnière. Alors que le secteur cherche un nouveau souffle, la nomination d’un nouveau dirigeant pour la CVCA, après le départ de Kim Furlong, pourrait redéfinir les priorités. Kim Furlong reste optimiste : « Malgré les turbulences, les fondations de l’industrie sont solides. »
Pour revitaliser l’écosystème, plusieurs leviers peuvent être actionnés :
- Renforcer l’investissement domestique pour réduire la dépendance aux fonds étrangers.
- Soutenir les gestionnaires émergents pour diversifier l’offre de capital-risque.
- Stimuler les exits pour libérer des liquidités et attirer de nouveaux investisseurs.
L’avenir du capital-risque canadien dépendra de sa capacité à s’adapter. En misant sur des secteurs porteurs comme l’IA et en encourageant l’innovation dans les stratégies de financement, le Canada peut transformer cette crise en une opportunité de renouveau.
En attendant, les regards se tournent vers Calgary, où les leaders du secteur se réunissent pour tracer la voie à suivre. La question demeure : le Canada saura-t-il répondre à cet appel au réveil ?