Data Centers : +300 % d’Énergie d’Ici 2035
Imaginez une ville entière qui s’allume d’un seul coup, chaque nuit, sans jamais s’éteindre. Multipliez cela par des centaines. C’est exactement ce qui attend les réseaux électriques américains dans les dix prochaines années.
Selon le dernier rapport de BloombergNEF publié début décembre 2025, la consommation électrique des data centers va bondir de près de 300 % d’ici 2035. On passerait de 40 gigawatts aujourd’hui à 106 gigawatts. Autant dire que l’on construit l’équivalent de plusieurs centrales nucléaires… mais uniquement pour faire tourner des modèles d’intelligence artificielle.
Une explosion prévisible, mais sous-estimée
Il y a encore quelques mois, les prévisions semblaient déjà alarmantes. En avril 2025, BloombergNEF misait sur une croissance « seulement » doublée. Huit mois plus tard, la réalité rattrape brutalement la fiction : les annonces de nouveaux projets ont tout simplement explosé.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les projets en phase préliminaire ont plus que doublé entre début 2024 et début 2025. Et quand on sait qu’il faut en moyenne sept ans pour qu’un data center passe du plan à la mise en service, on comprend que la vague arrive… et qu’elle sera gigantesque.
« Les évolutions des projets en phase précoce impactent surtout la fin de notre prévision »
– Rapport BloombergNEF, décembre 2025
Des méga-campus qui changent la donne
Aujourd’hui, seulement 10 % des data centers consomment plus de 50 mégawatts. Demain ? L’immense majorité des nouveaux sites dépassera les 100 MW, un quart atteindra 500 MW et certains flirteront même avec le gigawatt entier.
Pour vous donner une idée : un data center de 1 GW, c’est l’équivalent de la consommation électrique de la ville de San Francisco. À elle seule, une poignée de ces monstres peut faire vaciller tout un État.
Et ce n’est pas tout. Le taux d’utilisation des serveurs va grimper de 59 % à 69 %. Pourquoi ? Parce que l’intelligence artificielle, entre entraînement de modèles géants et inférence en temps réel, va représenter près de 40 % de la puissance de calcul totale des data centers d’ici dix ans.
Où vont s’installer ces géants de l’électricité ?
Les grandes métropoles manquent déjà de terrains et de puissance disponible. Résultat : les hyperscalers (Microsoft, Google, Amazon, Meta…) partent coloniser la campagne profonde.
Les grands gagnants ? La Virginie (déjà surnommée « Data Center Alley »), la Pennsylvanie, l’Ohio, l’Illinois et le New Jersey. Tous situés dans la zone gérée par PJM Interconnection, le plus grand opérateur de réseau électrique des États-Unis.
Le Texas, avec son réseau ERCOT déjà sous tension lors des vagues de froid ou de chaleur, va lui aussi accueillir une flopée de nouveaux sites.
- Virginie : déjà plus de 30 % de la capacité mondiale
- Pennsylvanie et Ohio : terrains bon marché, électricité abondante
- Texas : fiscalité avantageuse et moins de régulation
Le réseau électrique va-t-il craquer ?
C’est la grande question. Monitoring Analytics, l’organisme indépendant qui surveille PJM, a déposé une plainte officielle auprès de la FERC (le régulateur fédéral de l’énergie). Le message est clair : PJM a le droit, et même le devoir, de faire attendre les data centers quand le réseau n’est pas prêt.
« PJM a l’autorité pour imposer une file d’attente aux nouveaux gros consommateurs jusqu’à ce que le réseau puisse les accueillir de façon fiable. »
– Monitoring Analytics, plainte à la FERC
En clair : on ne branche plus n’importe quoi, n’importe quand. Et pour cause : les data centers sont déjà pointés du doigt comme responsables d’une grande partie de la hausse des prix de l’électricité dans la région.
Dans certains États, les factures des ménages ont augmenté de 20 à 30 % en quelques années. Et ce n’est qu’un début.
L’IA, nouveau pétrole du XXIe siècle
Le parallèle est frappant. En 2025, le monde investit plus dans les data centers (580 milliards de dollars) que dans la recherche de nouveaux gisements pétroliers.
Chaque entreprise d’IA se livre à une course effrénée : celui qui aura le plus de GPU le plus vite dominera le marché. Conséquence directe : des contrats d’électricité signés à prix d’or, des centrales au gaz relancées en urgence, et parfois même des générateurs diesel installés en attendant que le réseau suive.
Mais cette frénésie a un coût environnemental colossal. Même si les géants du cloud jurent utiliser 100 % d’énergie renouvelable « en moyenne », la réalité locale est souvent différente : quand le soleil ne brille pas et que le vent ne souffle pas, c’est le charbon ou le gaz qui prend le relais.
Et l’Europe dans tout ça ?
Si le rapport se concentre sur les États-Unis, le phénomène est mondial. L’Irlande, qui héberge déjà une grande partie des data centers européens, voit sa consommation électrique exploser. La France, avec ses projets dans le Grand Est et autour de Paris, n’est pas en reste.
Partout, la même équation : plus d’IA = plus de calcul = plus d’électricité = plus de pression sur les réseaux et sur le climat.
Vers une sobriété forcée ou une révolution énergétique ?
Plusieurs pistes émergent pour limiter la casse :
- Déplacer les calculs aux heures creuses ou dans les régions où l’énergie renouvelable est abondante
- Développer des puces toujours plus efficaces (les prochains GPU consomment parfois moins pour plus de performance)
- Investir massivement dans de nouvelles interconnexions et dans le stockage d’électricité
- Imposer des quotas ou des taxes carbone spécifiques aux data centers
Mais le temps presse. Les projets annoncés aujourd’hui détermineront notre empreinte énergétique pour les vingt prochaines années.
L’intelligence artificielle nous promet un futur extraordinaire. Mais à quel prix ? Celui d’un réseau électrique au bord de la rupture et d’émissions qui risquent de faire dérailler tous les objectifs climatiques ?
Une chose est sûre : la révolution IA ne sera pas seulement technologique. Elle sera aussi, et peut-être surtout, énergétique.