Doctolib vs l’État : La Bataille du Carnet de Santé Numérique
La guerre des données de santé est déclarée. Alors que l'État français planche depuis des années sur son projet de carnet de santé numérique, la licorne française Doctolib vient de dégainer sa propre solution en avance, bousculant l'agenda du gouvernement. Un coup d'éclat qui soulève de nombreuses questions sur l'avenir de nos données médicales les plus sensibles.
Doctolib prend tout le monde de vitesse
Avec déjà plus de 60 millions de Français inscrits sur sa plateforme, Doctolib dispose d'une force de frappe considérable dans le paysage de la e-santé hexagonale. En lançant dès maintenant son carnet de santé numérique, la pépite française met clairement la pression sur les pouvoirs publics.
L'application promet de centraliser toutes les données médicales des patients : ordonnances, résultats d'analyses, imagerie, compte-rendus d'hospitalisations... De quoi offrir une vue 360° sur le parcours de soins. Une petite révolution quand on sait à quel point le système de santé français reste encore morcelé et peu interopérable.
Avec cette nouvelle brique, nous voulons simplifier la vie des patients et fluidifier les échanges avec les professionnels de santé.
Stanislas Niox-Chateau, co-fondateur de Doctolib
Un pied de nez à l'État
Mais en court-circuitant les plans du gouvernement, Doctolib s'attire aussi les foudres de certains. Beaucoup s'inquiètent de voir un acteur privé, qui plus est une licorne valorisée plusieurs milliards d'euros, mettre ainsi la main sur un pan aussi stratégique et sensible de notre système de santé.
Le secrétaire d'État au Numérique Cédric O n'a d'ailleurs pas mâché ses mots, dénonçant un "passage en force" et une atteinte à la souveraineté numérique du pays dans ce domaine crucial. L'exécutif craint de se voir dépossédé d'un levier essentiel pour piloter la e-santé de demain.
L'enjeu clé des données de santé
Car l'accès et le contrôle des données de santé constituent un enjeu majeur pour l'avenir. Leur exploitation à grande échelle, si elle est bien encadrée, peut permettre :
- D'améliorer la prévention et la détection précoce de maladies
- D'optimiser les parcours de soins des patients
- De faire avancer la recherche médicale
- De mieux piloter les politiques de santé publique
Un trésor que l'État ne veut surtout pas abandonner aux GAFAM ou autres géants du numérique. Mais les pouvoirs publics, empêtrés dans des projets complexes comme le DMP (Dossier Médical Partagé), peinent à imposer leur propre solution face aux acteurs privés, bien plus agiles.
Doctolib se veut rassurant
Face aux critiques, Doctolib se défend de toute volonté hégémonique. La société assure que les données de santé des utilisateurs restent leur propriété et ne seront jamais exploitées à leur insu ou revendues.
Nous sommes un acteur de santé, pas une entreprise technologique. Notre mission est d'être au service des patients et des soignants, dans le strict respect du secret médical et de la réglementation sur les données personnelles.
Jessy Bernal, porte-parole de Doctolib
Un discours qui ne convainc pas les plus sceptiques. Beaucoup craignent qu'à terme, la valorisation boursière de la licorne et la pression de ses investisseurs ne la poussent à monétiser ce capital de données médicales, malgré les garde-fous réglementaires comme le RGPD.
Vers une coopération public-privé ?
Pour sortir de cette rivalité stérile, certains plaident pour un partenariat apaisé et pragmatique entre l'État et les acteurs privés innovants comme Doctolib. L'objectif : co-construire un écosystème de la e-santé à la fois performant, sécurisé et éthique.
Il faut dépasser l'opposition stérile entre public et privé. Nous devons travailler main dans la main pour façonner un modèle à la française de la santé numérique, combinant le meilleur de l'innovation et de la régulation. C'est un enjeu de souveraineté.
Dominique Pon, responsable de la stratégie e-santé du gouvernement
Mais cette main tendue suffira-t-elle à apaiser les tensions ? Rien n'est moins sûr tant les intérêts divergent. Une chose est sûre : la bataille du carnet de santé numérique ne fait que commencer. Et elle pourrait bien déterminer qui de l'État ou du privé tiendra le stylo pour écrire le futur de notre médecine à l'heure de la data.