Employment Hero Conquiert le Canada via Humi
Imaginez un kangourou en costume qui débarque à Toronto en plein hiver. C’est un peu l’image qu’inspire Employment Hero depuis qu’il a mis la main sur Humi début 2025. L’entreprise australienne, déjà bien implantée en Asie du Sud-Est et au Royaume-Uni, a choisi le Canada comme prochain terrain de conquête. Et pas pour y faire du tourisme.
Employment Hero veut rendre ses opérations canadiennes profitables… coûte que coûte
Chez Employment Hero, on ne tourne pas autour du pot : le marché canadien n’est pas encore rentable. Avec seulement 4 000 clients sur les 350 000 que compte le groupe dans le monde, le poids du Canada reste marginal. Pourtant, Ben Thompson, le PDG, l’affirme sans détour : il est prêt à investir des années s’il le faut.
« Si ça prend des années, on prendra des années. C’est une question de persévérance. »
– Ben Thompson, PDG d’Employment Hero
Cette franchise dans le discours tranche avec la prudence habituelle des dirigeants de scale-up. Mais elle reflète aussi une réalité brutale : dans le SaaS destiné aux PME, la rentabilité arrive tard. Il faut d’abord accumuler des milliers de petits clients à 50 ou 100 dollars par mois avant que la machine ne devienne profitable.
Humi, le cheval de Troie parfait
Pourquoi Humi ? Parce que c’était tout simplement le seul véritable acteur local établi. Fondée en 2016, la startup torontoise s’était imposée comme la solution RH préférée de milliers de PME canadiennes. En la rachetant, Employment Hero s’offrait instantanément une marque connue, une base clients et surtout une légitimité immédiate.
En septembre 2025, à peine neuf mois après l’acquisition, la nouvelle version « Employment Hero powered by Humi » était lancée. Kevin Kliman, ex-PDG de Humi devenu patron de la filiale canadienne, parle d’un tour de force :
« On a littéralement reconstruit Humi en quelques mois. Le produit est désormais plus mature, plus complet. »
– Kevin Kliman
Des fonctionnalités made in Canada (et un peu d’Australie)
La nouvelle plateforme ne fait pas dans la demi-mesure. Parmi les ajouts majeurs :
- Un système de formation en ligne (LMS) complet
- Une application mobile repensée de fond en comble
- Des outils de recrutement et de planification d’équipes
- L’arrivée prochaine de l’earned wage access (paiement à la demande)
Au Québec, la marque reste « Humi by Employment Hero » pour des raisons de conformité linguistique et réglementaire. Un détail qui en dit long sur l’attention portée au marché local.
Objectif : 100 millions de dollars canadiens de chiffre d’affaires
Kevin Kliman ne cache pas son ambition : transformer Employment Hero Canada en une entreprise de 100 millions de dollars. Avec une croissance de 30 % (en revenus comme en effectifs), la trajectoire est encourageante. Le groupe mondial, lui, vient de franchir les 275 millions CAD de revenus récurrents annuels et annonce être enfin profitable.
Mais au Canada, on part de loin. Il va falloir convertir massivement les PME, ces fameuses entreprises de 10 à 250 employés qui constituent le cœur de cible. Et pour ça, le pricing agressif et les fonctionnalités au-dessus de la concurrence seront des armes décisives.
Canadiens et Australiens : même combat ?
Sur le plan culturel, les deux équipes semblent s’entendre à merveille. Kevin Kliman plaisante :
« Les Australiens, c’est des Canadiens avec un accent rigolo. »
– Kevin Kliman
Ben Thompson renchérit aussitôt : « Et les Canadiens, des Australiens avec l’accent rigolo ». Au-delà de la blague, les deux dirigeants insistent sur les valeurs communes des pays du Commonwealth : pragmatisme, ouverture, goût de l’effort.
Mais tout n’est pas rose : les polémiques australiennes rattrapent le groupe
Difficile d’aborder Employment Hero en 2025 sans parler des articles assassins publiés par Capital Brief. L’entreprise australienne traîne une réputation sulfureuse : culture du résultat à marche forcée, suppression des avantages (adieu la semaine de 4,5 jours chez Humi), ambiance parfois décrite comme toxique.
Ben Thompson balaie les critiques d’un revers de main : avec 1 700 employés, il est normal que quelques départs fassent du bruit. Il défend une culture « mission first, remote first, AI first » et assume pleinement :
« Aucun champion olympique n’a gagné en s’entraînant moins. »
– Ben Thompson
Cette philosophie du « hard work » a choqué certains ex-employés de Humi, habitués à un rythme plus doux. Le choc des cultures est bien réel.
Le Canada, un laboratoire pour le reste du monde
Paradoxalement, le Canada apporte aussi beaucoup au groupe mondial. Contrairement à l’Australie où les avantages sociaux sont limités, le marché canadien est complexe : assurances collectives, REER collectifs, conformité provinciale… Employment Hero y a appris à gérer les bénéfices à grande échelle.
Ces compétences seront réexportées vers d’autres marchés. Le Canada n’est pas qu’un terrain de conquête : c’est aussi un laboratoire d’innovation réglementaire.
Et maintenant ?
Employment Hero joue gros au Canada. L’entreprise a les moyens de ses ambitions : trésorerie positive, croissance organique solide, produit mature. Mais la concurrence est rude (BambooHR, ADP, Rippling commencent à lorgner sérieusement sur le marché canadien).
La réussite passera par trois leviers :
- Une exécution locale irréprochable (conformité, support en français, pricing adapté)
- Une capacité à conserver l’âme de Humi tout en profitant de la puissance globale
- Une gestion intelligente du choc culturel interne
Si Employment Hero parvient à transformer le Canada en succès story, ce sera la preuve que le modèle australien peut s’exporter même dans des marchés réglementés et froids (au sens propre comme figuré).
Dans le cas contraire… eh bien, il restera toujours les kiwis et les singapouriens. Mais quelque chose nous dit que Ben Thompson et Kevin Kliman n’ont pas l’intention d’abandonner si facilement.
À suivre de très près en 2026.