
Fin des Moteurs Thermiques à Douvrin
Dans le Pas-de-Calais, une page de l’histoire industrielle se tourne. L’usine Stellantis de Douvrin, berceau de la production de moteurs thermiques depuis plus d’un demi-siècle, vit ses derniers instants sous sa forme actuelle. Alors que le monde automobile accélère vers l’électrification, ce site emblématique doit se réinventer. Mais à quel prix pour ses salariés et pour l’industrie française ? Cette transition, à la fois inéluctable et complexe, soulève des questions sur l’avenir des savoir-faire traditionnels et la capacité des grandes entreprises à accompagner le changement.
Une Usine Historique à la Croisée des Chemins
Implantée en 1969, l’usine de Douvrin, anciennement connue sous le nom de Française de Mécanique, a longtemps incarné l’excellence de la filière automobile française. Avec des milliers de moteurs diesel et essence produits chaque année, elle a employé jusqu’à 5000 salariés au début des années 2000. Aujourd’hui, ce fleuron industriel fait face à une transformation radicale, marquée par l’arrêt progressif des moteurs thermiques.
Le 24 juillet 2025, Stellantis a officialisé l’arrêt de la production du moteur diesel DV dès novembre 2025, tandis que le moteur essence EB suivra dans un avenir proche. Cette décision, bien que prévisible dans le contexte de la transition écologique, sonne comme un glas pour les syndicats. La CFE-CGC et la CFTC parlent d’une « fermeture implicite » du site, prévue pour 2026, dénonçant un abandon des compétences historiques au profit de choix stratégiques tournés vers l’étranger.
L’Électrification : Une Révolution à Double Tranchant
L’électrification de l’industrie automobile est au cœur de cette mutation. Les réglementations européennes, toujours plus strictes sur les émissions de CO2, poussent les constructeurs à abandonner les moteurs thermiques au profit des véhicules électriques. Stellantis, comme d’autres géants du secteur, s’adapte à cette nouvelle donne. Mais à Douvrin, cette transition laisse un goût amer.
« C’est un sacrifice des compétences industrielles sur l’autel de l’électrification. »
– Représentant de la CFE-CGC
Les syndicats pointent du doigt les choix stratégiques de Stellantis, accusé de privilégier des sites de production à l’étranger pour réduire les coûts. Cette délocalisation partielle fragilise l’industrie française, déjà mise à rude épreuve par la concurrence mondiale. Pourtant, l’électrification offre aussi des opportunités : la gigafactory d’Automotive Cells Company (ACC), située à proximité, représente un espoir de reconversion pour certains salariés.
La Gigafactory ACC : Une Solution Partielle
Implantée à quelques pas de l’usine de Douvrin, la gigafactory ACC, codétenue par Stellantis, Mercedes-Benz et TotalEnergies, produit des batteries pour véhicules électriques depuis mai 2023. Ce projet ambitieux vise à répondre à la demande croissante en batteries lithium-ion. Mais son démarrage, plus lent que prévu, limite son rôle comme solution de reclassement pour les employés de Douvrin.
À ce jour, seuls 330 salariés ont rejoint ACC, selon Stellantis, contre 325 selon la CFE-CGC. Cela laisse environ 350 travailleurs sans solution claire. Les syndicats déplorent un manque de reconversion professionnelle efficace, malgré les promesses du groupe. Stellantis, de son côté, insiste sur sa volonté d’accompagner chaque salarié, que ce soit vers ACC ou vers d’autres sites, comme ceux d’Hordain ou de Valenciennes.
« Nous savons offrir un poste à tout le monde dans le groupe. »
– Porte-parole de Stellantis
Malgré ces assurances, les négociations autour des ruptures conventionnelles collectives (RCC), entamées le 22 juillet 2025, laissent planer un sentiment d’incertitude. Pour la CFTC, ces discussions sont le signe d’une fin programmée pour le site. Les syndicats exigent un plan ambitieux pour préserver les emplois et les savoir-faire.
Quels Enjeux pour l’Industrie Automobile Française ?
La situation de Douvrin illustre les défis majeurs auxquels l’industrie automobile française est confrontée. La transition vers la mobilité électrique impose une réinvention des modèles économiques et industriels. Les usines historiques, conçues pour les moteurs thermiques, doivent s’adapter ou disparaître. Mais cette transformation ne peut se faire sans un accompagnement social robuste.
Voici les principaux enjeux identifiés :
- Préserver les compétences industrielles accumulées sur des décennies.
- Investir dans la formation pour accompagner les salariés vers les métiers de l’électrique.
- Renforcer la souveraineté industrielle en évitant les délocalisations.
Ces défis ne concernent pas seulement Stellantis. Renault, par exemple, s’engage dans une transformation similaire, avec des priorités claires définies par son dirigeant François Provost pour accélérer l’électrification. La concurrence internationale, notamment chinoise, ajoute une pression supplémentaire sur les constructeurs européens.
Vers un Modèle d’Industrie Durable ?
La fin des moteurs thermiques à Douvrin n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une dynamique plus large de transition écologique. Les usines de batteries, comme celle d’ACC, incarnent l’espoir d’une industrie automobile plus durable. Mais leur succès dépend de plusieurs facteurs : montée en cadence, compétitivité face aux acteurs asiatiques, et intégration des travailleurs issus des filières traditionnelles.
Pour les salariés de Douvrin, l’avenir repose sur des formations adaptées et des reclassements effectifs. Les syndicats insistent sur la nécessité d’un plan global, incluant non seulement des solutions d’emploi, mais aussi un soutien à la cohésion sociale dans une région déjà marquée par la désindustrialisation.
Un Symbole en Mutation
L’usine de Douvrin, avec ses décennies d’histoire, est bien plus qu’un site industriel. Elle est un symbole du savoir-faire français, mais aussi des défis de l’industrie face à la transition énergétique. Si Stellantis parvient à transformer ce site en un acteur de la mobilité électrique, cela pourrait devenir un exemple de reconversion réussie. Mais pour l’heure, l’incertitude domine.
La fin des moteurs thermiques à Douvrin marque un tournant. Elle rappelle que la transition industrielle ne se limite pas à des choix technologiques, mais engage des milliers de destins humains. Alors que l’électrification redessine le paysage automobile, l’enjeu est clair : construire un avenir où innovation rime avec inclusion.