Ford et SK On Dissolvent Leur Joint Venture Batteries
Imaginez avoir investi plus de 11 milliards de dollars dans un projet ambitieux pour dominer le marché des véhicules électriques, et quatre ans plus tard, décider de tout remettre en question. C'est exactement ce qui arrive à Ford et SK On, qui viennent d'annoncer la fin de leur coentreprise américaine dédiée à la production de batteries. Un coup de tonnerre dans l'industrie automobile ? Ou simplement un ajustement pragmatique face à une réalité économique changeante ?
La Fin d'une Alliance Ambitieuse dans les Batteries pour Véhicules Électriques
En 2021, au pic de l'euphorie autour des véhicules électriques, Ford et le sud-coréen SK On – filiale de SK Innovation – avaient scellé un partenariat majeur. L'objectif était clair : construire trois gigantesques usines aux États-Unis pour produire des cellules de batteries destinées aux futurs pick-ups électriques de la gamme F-Series. Un investissement colossal de 11,4 milliards de dollars, soutenu par des incitations fiscales fédérales, devait propulser Ford parmi les leaders de la mobilité électrique.
Mais le 11 décembre 2025, SK On a annoncé un accord avec Ford pour dissoudre cette joint venture baptisée BlueOval SK. Les actifs seront partagés : Ford récupère la pleine propriété des deux usines du Kentucky, tandis que SK On prend le contrôle de l'usine située dans le vaste complexe du Tennessee. Les sites de production continuent d'exister, mais plus sous la bannière commune.
Cette séparation marque un tournant dans la stratégie des deux groupes. Elle reflète surtout les difficultés actuelles du secteur des véhicules électriques, où les ambitions démesurées se heurtent à une demande plus mesurée que prévue.
Les Origines du Partenariat BlueOval SK
Tout avait commencé dans un contexte d'urgence climatique et de course technologique. Les constructeurs traditionnels comme Ford devaient rattraper leur retard face à Tesla. Pour y parvenir, s'allier avec un expert coréen en batteries était une évidence. SK On, déjà partenaire de Volkswagen et Hyundai, apportait son savoir-faire en cellules prismatiques à haute densité énergétique.
Le projet prévoyait :
- Deux usines à Glendale, dans le Kentucky, capables de produire 86 GWh par an.
- Une usine à Stanton, dans le Tennessee, intégrée au mega-campus BlueOval City de Ford.
- Des milliers d'emplois créés dans des régions industrielles en déclin.
Ces installations devaient alimenter les prochaines générations de Ford F-150 Lightning et d'autres modèles électriques. À l'époque, les projections tablaient sur une explosion des ventes d'EV aux États-Unis, boostées par les crédits d'impôt fédéraux.
Pourquoi Cette Séparation Aujourd'hui ?
Le marché des véhicules électriques n'a pas suivi la trajectoire espérée. Si les ventes mondiales progressent, elles ralentissent nettement en 2025. Aux États-Unis, plusieurs facteurs expliquent ce coup de frein :
La fin progressive des crédits d'impôt fédéraux de 7 500 dollars a refroidi de nombreux acheteurs potentiels. Les prix des modèles électriques restent élevés par rapport aux thermiques équivalents. Les infrastructures de recharge, bien qu'en expansion, suscitent encore des inquiétudes. Enfin, l'arrivée massive de concurrents chinois à bas coûts bouleverse la donne.
Ford lui-même a revu ses ambitions à la baisse. Le constructeur a reporté certains lancements, réduit des capacités de production et même converti partiellement des lignes pour produire plus de modèles hybrides – qui rencontrent un succès inattendu.
« La demande n'a pas suivi les projections élevées de l'industrie. »
– Observation partagée par de nombreux analystes du secteur automobile
Cette réalité a poussé les partenaires à repenser leur alliance. Garder une coentreprise devenait moins stratégique quand chacun peut optimiser ses propres actifs séparément.
Les Conséquences pour les Usines et les Emplois
Bonne nouvelle : les sites de production ne ferment pas. Les trois usines continueront à fabriquer des batteries, préservant ainsi des milliers d'emplois dans le Kentucky et le Tennessee. Ford prend le contrôle total des installations kentuckiennes, ce qui lui offre plus de flexibilité pour adapter la production à ses besoins propres.
SK On, de son côté, hérite de l'usine tennesseenne et maintient une relation commerciale avec Ford. Le coréen pourra diversifier sa clientèle américaine, notamment auprès d'autres constructeurs cherchant des fournisseurs locaux pour bénéficier d'incitations fiscales.
Cette répartition permet aussi d'éviter des conflits potentiels sur la propriété intellectuelle ou les stratégies de prix. Chaque entreprise peut désormais piloter sa chaîne d'approvisionnement de manière indépendante.
Un Signal Fort pour l'Industrie Automobile Électrique
Cette dissolution n'est pas un cas isolé. D'autres alliances dans les batteries ont été renegociées ces derniers mois. General Motors et LG Energy Solution ont ajusté leurs plans communs. Même Tesla, pourtant verticalement intégré, explore de nouveaux partenariats pour sécuriser ses approvisionnements.
Le secteur traverse une phase de consolidation. Après les investissements massifs des années 2020-2023, les acteurs rationalisent leurs dépenses. La surcapacité menace, avec des usines qui tournent parfois en dessous de leurs objectifs.
Pourtant, cette séparation ne signe pas la fin de la transition électrique. Elle montre simplement que le chemin sera plus sinueux que prévu. Les batteries restent un composant critique, et la localisation de la production aux États-Unis demeure une priorité stratégique face à la concurrence chinoise.
Les Défis Technologiques et Géopolitiques Persistants
Au-delà du ralentissement conjoncturel, des enjeux structurels pèsent sur l'industrie. La dépendance aux matières premières – lithium, cobalt, nickel – expose les fabricants à des fluctuations de prix violentes. Les tensions géopolitiques, notamment autour de Taïwan et de la Chine, compliquent les chaînes d'approvisionnement.
Les innovations en batteries solides ou au sodium promettent des avancées, mais leur industrialisation prendra encore des années. En attendant, les acteurs comme Ford doivent équilibrer investissements massifs et rentabilité immédiate.
SK On, fortement endetté après ses expansions mondiales, gagne aussi en autonomie avec cette opération. Le groupe coréen pourra mieux négocier avec d'autres clients et optimiser ses coûts.
Perspectives pour Ford dans la Mobilité Électrique
Pour Ford, récupérer les usines du Kentucky offre un contrôle total sur une partie cruciale de sa chaîne de valeur. Cela pourrait accélérer l'intégration verticale, à l'image de ce que pratique Tesla avec ses Gigafactories.
Le constructeur américain mise toujours sur l'électrification de ses modèles iconiques. Le F-150 Lightning reste un succès relatif, et de nouveaux véhicules utilitaires électriques sont attendus. Mais Ford diversifie aussi ses efforts vers les hybrides rechargeables, qui séduisent une clientèle hésitante face à l'autonomie limitée des purs électriques.
Cette flexibilité stratégique pourrait s'avérer payante dans un marché volatil. L'entreprise évite ainsi les contraintes d'une coentreprise tout en sécurisant ses approvisionnements en batteries.
Ce Que Cela Nous Dit sur l'Avenir de la Transition Énergétique
La fin de BlueOval SK illustre la maturité naissante du secteur des véhicules électriques. Après la phase d'euphorie et d'investissements tous azimuts, arrive le temps de l'ajustement. Les alliances trop rigides cèdent la place à des collaborations plus souples.
Cette évolution n'efface pas les enjeux environnementaux. La décarbonation du transport reste impérative. Mais elle rappelle que la transition ne sera ni linéaire ni uniforme selon les régions.
En Europe, les normes CO2 strictes maintiennent la pression. En Asie, la Chine domine toujours. Aux États-Unis, les aléas politiques – avec un possible retour de politiques moins favorables aux EV – ajoutent de l'incertitude.
Finalement, cette séparation entre Ford et SK On pourrait préfigurer d'autres restructurations. Les acteurs qui sauront allier pragmatisme économique et vision long terme sortiront renforcés de cette période de turbulences.
Le chemin vers une mobilité durable est encore long, mais chaque ajustement comme celui-ci contribue à le rendre plus réaliste et viable.