
Framatome Sauve la Robinetterie Nucléaire Française
Imaginez un instant : un fleuron de la technologie française, le porte-avions Charles-de-Gaulle, dépendant de pièces fabriquées à des milliers de kilomètres, hors de tout contrôle national. Cette idée a failli devenir réalité il y a deux ans, lorsque le canadien Velan envisageait de céder ses usines françaises à un groupe américain. Mais aujourd’hui, une nouvelle page s’écrit : Framatome, géant du nucléaire tricolore, a décidé de reprendre les rênes en rachetant Velan France et Segault, deux PME stratégiques. Une opération qui résonne comme un acte de résistance industrielle et un pari sur l’avenir.
Un sauvetage au cœur de la souveraineté française
Ce n’est pas une simple acquisition. C’est une réponse ferme à une menace qui pesait sur la filière nucléaire française. En mars 2025, Framatome a officialisé le rachat de ces deux entreprises spécialisées dans la robinetterie de haute précision, des équipements essentiels pour les réacteurs civils comme pour les bâtiments militaires. Mais pourquoi ce sauvetage fait-il autant parler ? Parce qu’il touche à un enjeu majeur : la **souveraineté technologique**.
Velan et Segault : des pépites sous pression
Basée à Lyon, l’usine Velan (devenue Valserve) emploie 300 personnes et génère 75 millions d’euros de chiffre d’affaires. À Mennecy, Segault regroupe 80 salariés pour un revenu annuel de 11 millions. Ces deux structures fabriquent des vannes et robinets capables de résister à des conditions extrêmes : pressions de 700 bars, acides corrosifs, températures infernales. Leurs produits équipent le Charles-de-Gaulle, les sous-marins nucléaires, et même des réacteurs civils. Pourtant, depuis deux ans, leur avenir était incertain.
En 2023, le canadien Velan, leur maison-mère, cherchait à s’en débarrasser. Une offre de l’américain Flowserve avait alors émergé, faisant craindre une perte de contrôle sur ces technologies sensibles. La **Direction Générale de l’Armement (DGA)** et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, ont mis leur veto, estimant que ces PME étaient des atouts stratégiques non négociables.
« Ces entreprises sont le cœur battant de notre dissuasion nucléaire. Les laisser partir serait une erreur historique. »
– Un haut fonctionnaire de la DGA
Framatome et TechnicAtome à la rescousse
Face à ce risque, Framatome a pris les devants. En s’associant à TechnicAtome pour Segault, l’entreprise française a bouclé une opération dont le montant reste confidentiel. Ce rachat ne se limite pas à une question de patriotisme économique : il s’inscrit dans une stratégie plus large. Bernard Fontana, directeur général de Framatome (bientôt à la tête d’EDF), le résume ainsi : sécuriser la chaîne d’approvisionnement et renforcer la compétitivité de la filière nucléaire.
Pour les deux PME, cet adossement à un grand groupe est une bouffée d’oxygène. Leurs chiffres d’affaires stagnaient, voire déclinaient, faute de diversification et de nouveaux contrats. Désormais, elles peuvent envisager l’avenir avec plus de sérénité, portées par la puissance industrielle de Framatome.
Une filière nucléaire sous tension
Le nucléaire français traverse une période charnière. D’un côté, le **grand carénage** – la maintenance des 57 réacteurs en activité – maintient la filière à flot. De l’autre, les nouveaux projets, comme les SMR (*Small Modular Reactors*), tardent à décoller. Résultat : les équipementiers comme Valserve et Segault dépendent encore largement des commandes historiques, qu’elles viennent du civil ou de la défense.
Mais les perspectives ne sont pas toutes sombres. Dans le secteur militaire, les sous-traitants constatent une hausse des besoins, même si les commandes de navires nucléaires ne sont pas encore concrètes. Pour survivre, ces PME doivent explorer de nouveaux horizons. Et c’est là que l’acquisition par Framatome prend tout son sens.
Diversification : le pari de l’avenir
Pour Valserve, la diversification est déjà en marche. L’usine lyonnaise a décroché des contrats avec le CERN à Gex, le pas de tir de Kourou, ou encore dans la cryogénie et l’hydrogène. Mais ces marchés émergents, comme l’**hydrogène vert**, ne décolleront pas avant 2029, selon Jean-Luc Mazet, ex-directeur de Velan France. En attendant, l’appui de Framatome permettra d’investir dans ces secteurs prometteurs sans risquer l’asphyxie financière.
Segault, de son côté, mise sur ses compétences uniques pour séduire d’autres industries. Ses vannes ultra-résistantes pourraient trouver des applications dans la chimie ou l’énergie renouvelable. Cette capacité à innover hors du nucléaire traditionnel est cruciale pour assurer la pérennité de ces entreprises.
Un symbole de résilience industrielle
Ce rachat dépasse le cadre d’une simple transaction. Il incarne une volonté de préserver un savoir-faire français face à la mondialisation galopante. À l’heure où la relocalisation et le **made in France** sont sur toutes les lèvres, Framatome envoie un signal fort : les technologies stratégiques ne s’exportent pas, elles se protègent.
Pourtant, des défis subsistent. La filière nucléaire doit se réinventer pour répondre aux besoins d’une transition énergétique mondiale. Les PME comme Valserve et Segault, désormais sous l’aile de Framatome, devront prouver qu’elles peuvent allier héritage et innovation. Un équilibre délicat, mais essentiel.
Les chiffres clés de l’opération
Pour mieux comprendre l’ampleur de cette acquisition, voici un aperçu des forces en présence :
- Valserve (ex-Velan France) : 300 employés, 75 millions d’euros de CA.
- Segault : 80 salariés, 11 millions d’euros de CA.
- Framatome : acteur majeur du nucléaire, bientôt intégré à EDF.
Ces chiffres, bien que modestes face aux géants mondiaux, cachent une réalité : chaque employé, chaque vanne compte dans la chaîne de la souveraineté française.
Et après ? Les enjeux à venir
L’avenir de Valserve et Segault dépendra de leur capacité à s’adapter. Le soutien de Framatome leur offre une stabilité financière, mais il faudra plus que cela pour prospérer. Les investissements dans l’hydrogène, la cryogénie ou les énergies alternatives devront porter leurs fruits. En parallèle, la filière nucléaire française doit accélérer ses projets, qu’il s’agisse de nouveaux réacteurs ou de commandes militaires.
Pour les observateurs, cette opération est une première victoire. Mais elle soulève aussi une question : jusqu’où la France est-elle prête à aller pour protéger son industrie ? Une chose est sûre : avec Framatome aux commandes, le nucléaire tricolore a encore des cartes à jouer.