General Fusion lève 51,5 M$ et sous pression pour entrer en bourse
Imaginez une source d’énergie pratiquement illimitée, sans déchets radioactifs dangereux, capable d’alimenter la planète entière sans émettre une once de CO₂. Ce rêve, qui fait briller les yeux des scientifiques depuis les années 1950, n’a jamais semblé aussi proche de devenir réalité. Et au cœur de cette révolution, une entreprise canadienne, General Fusion, vient de franchir une nouvelle étape décisive… tout en se retrouvant sous une pression colossale.
General Fusion : la pépite canadienne qui veut domestiquer le Soleil
Basée à Richmond, en Colombie-Britannique, General Fusion travaille depuis 2002 sur une technologie baptisée Magnetized Target Fusion (fusion à cible magnétisée). Contrairement aux tokamaks géants comme ITER, l’approche canadienne mise sur une approche plus compacte : injecter du plasma dans une sphère remplie de lithium liquide, puis le comprimer violemment avec des pistons pour déclencher la réaction de fusion.
Le pari est audacieux. Mais après 23 ans de R&D, l’entreprise affirme être à quelques années seulement d’une démonstration décisive avec sa machine LM26. Un prototype capable, espèrent-ils, d’atteindre les 100 millions de degrés nécessaires à la fusion.
Une levée de fonds discrète… mais stratégique
Fin novembre 2025, General Fusion a bouclé une augmentation de capital de 51,5 millions CAD, révélée par un simple document déposé auprès des autorités canadiennes. Sur ce montant, 51,1 millions ont été levés via des SAFEs (Simple Agreement for Future Equity), un instrument très prisé des startups deep tech.
Soixante-sept investisseurs, dont beaucoup d’étrangers (États-Unis, Europe, Asie), ont participé. Parmi eux, le fonds canadien PenderFund a remis 5 millions de dollars… avec une condition claire : que l’entreprise s’oriente rapidement vers une introduction en bourse.
« La fenêtre d’intérêt pour le nucléaire et la fusion est grande ouverte aujourd’hui. Il faut en profiter avant qu’elle se referme. »
– Source proche du dossier, citée par The Globe and Mail
2025, l’année du sauvetage financier
Il faut dire que 2025 avait très mal commencé pour General Fusion. Au printemps, l’entreprise a dû procéder à des licenciements et réduire drastiquement ses activités face à une trésorerie en danger. Un véritable électrochoc.
Août a marqué le rebond : 30 millions CAD levés auprès des actionnaires historiques dans une opération « pay-to-play » (tu investis ou tu es dilué). Puis novembre, ces 51,5 millions supplémentaires. Au total, l’entreprise approche désormais les 600 millions CAD collectés depuis sa création.
Cela suffit-il ? Probablement pas. Atteindre le « scientific breakeven » (produire autant d’énergie que l’on en consomme) nécessitera encore des centaines de millions. D’où l’urgence, selon certains investisseurs, de passer par les marchés publics.
La concurrence mondiale s’emballe
Pendant ce temps, le reste du monde ne chôme pas :
- Commonwealth Fusion Systems (USA) a levé plus de 2 milliards USD et construit SPARC, qui vise une démonstration dès 2026.
- TAE Technologies vient de boucler 250 millions USD supplémentaires.
- Proxima Fusion (Allemagne) a annoncé 200 millions EUR cet automne.
- Helion Energy a signé un contrat historique avec Microsoft pour fournir de l’électricité de fusion dès 2028.
Face à ces géants, General Fusion fait figure de challenger. Mais un challenger qui possède un atout majeur : sa technologie est potentiellement plus rapide et moins coûteuse à mettre en œuvre qu’un tokamak.
Vers une IPO ou une fusion SPAC à la canadienne ?
Le précédent de Xanadu Quantum, qui s’est introduite en bourse via un SPAC en 2024, fait des émules. Cette voie rapide permet d’éviter les contraintes d’une IPO traditionnelle tout en levant des sommes importantes.
Pour General Fusion, l’équation est simple : rester privée signifie continuer à quémander des tours de table tous les 6 mois, au risque de se faire distancer. Passer en bourse offre une visibilité mondiale et un accès à des capitaux massifs… mais impose aussi une transparence et une pression des actionnaires inédites.
« À long terme, je suis convaincu que le monde fonctionnera à la fusion. La question est de savoir qui y arrivera le premier. »
– Greg Twinney, PDG de General Fusion (interview BetaKit, mai 2025)
Pourquoi la fusion intéresse soudain autant les marchés
Trois facteurs convergent :
- La crise climatique rend urgent le déploiement de sources d’énergie décarbonées massives.
- Les avancées de l’IA explosé les besoins énergétiques (data centers, IA, électrification).
- Le renouveau du nucléaire fissile (SMR, investissements massifs aux USA et en Europe) a redonné crédit à toute la filière nucléaire.
Résultat : les valorisations des entreprises de fusion ont été multipliées par 5 à 10 en trois ans. Un investisseur qui aurait misé tôt sur Commonwealth Fusion Systems aurait déjà vu son investissement décupler.
Et maintenant ?
General Fusion n’a pas encore répondu officiellement aux questions sur une éventuelle IPO. Mais les signaux sont clairs : LM26 doit livrer ses premiers résultats majeurs en 2026-2027. Si la machine atteint les 100 millions de degrés et s’approche du breakeven, la valorisation pourrait exploser.
Dans le cas contraire, la pression des investisseurs deviendra insoutenable. Car dans la course à la fusion, il n’y a pas de médaille d’argent : seul le premier qui produira de l’électricité commerciale à grande échelle raflera la mise.
Une chose est sûre : la petite entreprise de Richmond, fondée par le physicien Michel Laberge dans son garage, se trouve aujourd’hui à un tournant historique. Soit elle devient le prochain unicorn canadien de l’énergie… soit elle risque de se faire engloutir par des concurrents mieux capitalisés.
Le compte à rebours est lancé.