
IA et Carbone : Mesurer l’Impact Écologique
Imaginez un monde où l’intelligence artificielle (IA) révolutionne nos vies, mais à quel prix pour la planète ? En 2024, près de 500 millions de personnes utilisent l’IA générative, selon la Banque mondiale. Cette technologie, popularisée par des outils comme ChatGPT, consomme une énergie colossale, mais son impact écologique reste flou. Face à ce défi, des chercheurs et startups développent des solutions pour mesurer et réduire l’empreinte carbone de l’IA, ouvrant la voie à un numérique plus responsable.
L’IA face au défi écologique
L’essor fulgurant de l’IA générative, depuis son lancement grand public en 2022, a transformé nos façons de travailler, créer et communiquer. Mais cette révolution a un coût énergétique souvent sous-estimé. Les centres de données, qui hébergent les serveurs nécessaires à l’entraînement et au fonctionnement des modèles d’IA, consomment des quantités astronomiques d’électricité. Selon l’Agence internationale de l’énergie, ces infrastructures pourraient représenter une part significative de la consommation énergétique mondiale d’ici 2030 si rien n’est fait.
Face à cette réalité, des initiatives émergent pour quantifier l’impact environnemental de l’IA. Des outils comme Green Algorithms, AI Energy Score et Alumet permettent aux entreprises et chercheurs de mieux comprendre la consommation énergétique de leurs algorithmes. Ces solutions, souvent développées en open source, visent à rendre le numérique plus transparent et durable.
Des outils pour mesurer l’empreinte carbone
Le calcul du bilan carbone de l’IA est complexe. Il ne s’agit pas seulement de mesurer l’énergie consommée par les serveurs, mais aussi de prendre en compte la fabrication des équipements, la gestion des données et même l’impact de l’eau utilisée pour refroidir les centres de données. Plusieurs outils se distinguent dans cette quête de transparence.
« La fabrication des équipements représente environ 20 % de l’empreinte carbone des modèles d’IA comme Bloom. Mais les données des fabricants restent souvent inaccessibles. »
– Anne-Laure Ligozat, professeure en informatique
Parmi ces outils, Green Algorithms, développé par des chercheurs de l’université de Cambridge, se démarque. Cet outil en ligne permet aux scientifiques d’estimer l’empreinte carbone de leurs calculs en fonction des infrastructures utilisées, du type de processeurs (CPU ou GPU) et de la durée d’exécution. Avec environ 200 utilisateurs hebdomadaires, il aide à prendre des décisions éclairées sur l’équilibre entre performance et impact écologique.
Un autre acteur, l’AI Energy Score, fruit d’une collaboration entre Hugging Face, Salesforce et Meta, s’adresse principalement aux entreprises. Cet outil compare la consommation énergétique des modèles d’IA en fonction des tâches effectuées, permettant d’identifier les algorithmes les plus efficients. Boris Gamazaychikov, responsable IA durable chez Salesforce, explique :
« L’objectif est de donner aux entreprises les moyens de choisir des modèles d’IA plus économes en énergie, tâche par tâche. »
– Boris Gamazaychikov, Salesforce
Enfin, Alumet, conçu par l’Institut interdisciplinaire pour l’IA de Grenoble, propose une approche modulaire. Cet outil mesure en temps réel la consommation énergétique d’un code, sans nécessiter de compétences techniques approfondies. Déployé sur les supercalculateurs d’Eviden (Atos) depuis 2024, il vise à devenir un standard dans les suites logicielles.
Les défis de la mesure
Mesurer l’impact carbone de l’IA est un exercice semé d’embûches. La diversité des systèmes utilisés (serveurs, systèmes d’exploitation, cloud) complique l’accès à des données fiables. Par exemple, dans le cloud, il est souvent impossible de mesurer précisément l’énergie consommée par un service spécifique, car plusieurs machines peuvent être sollicitées simultanément.
De plus, la fabrication des équipements, notamment les puces GPU produites par des géants comme Nvidia, représente une part importante de l’empreinte carbone. Cependant, les fabricants restent souvent opaques sur ces données, obligeant les chercheurs à s’appuyer sur des estimations. L’analyse du cycle de vie des machines, réalisée par des organismes comme l’Arcep ou l’Ademe, devient alors essentielle pour combler ces lacunes.
La localisation des centres de données joue également un rôle clé. Un serveur alimenté par une énergie renouvelable en Islande aura un impact bien moindre qu’un serveur fonctionnant au charbon en Asie. C’est pourquoi l’Agence internationale de l’énergie a lancé un observatoire en 2024 pour suivre l’évolution de la consommation énergétique des data centers à l’échelle mondiale.
Vers une IA plus verte
Face à ces défis, des initiatives institutionnelles et privées s’organisent pour promouvoir une IA plus durable. En France, le ministère de la Transition écologique impose désormais l’utilisation de Green Algorithms dans les appels à projets du plan France 2030. Les candidats doivent fournir des estimations précises de l’empreinte carbone de leurs solutions, une exigence qui vise à aligner innovation et responsabilité environnementale.
Voici quelques initiatives clés pour une IA plus verte :
- Observatoire mondial de l’ENS : Soutient les recherches sur l’impact écologique de l’IA en partenariat avec Capgemini.
- Green Algorithms : Outil open source pour estimer l’empreinte carbone des calculs scientifiques.
- AI Energy Score : Compare l’efficacité énergétique des modèles d’IA pour les entreprises.
- Alumet : Mesure en temps réel la consommation énergétique des codes, déployé sur des supercalculateurs.
Ces outils ne se contentent pas de mesurer : ils incitent à repenser la conception même des algorithmes. En optimisant les modèles pour qu’ils consomment moins d’énergie, les développeurs peuvent réduire l’impact environnemental sans sacrifier les performances.
L’avenir de l’IA durable
L’IA a le potentiel de résoudre des problèmes environnementaux majeurs, comme l’optimisation des réseaux énergétiques ou la gestion des ressources en eau. Mais pour que cette promesse devienne réalité, elle doit d’abord devenir écoresponsable. Les outils de mesure actuels ne sont qu’un début. À l’avenir, les chercheurs espèrent intégrer des critères environnementaux dès la conception des modèles d’IA, un concept baptisé frugal AI.
Des startups comme Hugging Face jouent un rôle clé dans cette transition. En collaborant avec des universités et des entreprises, elles développent des solutions qui allient performance et durabilité. Par exemple, le modèle Bloom, bien que coûteux en énergie lors de son entraînement, sert de terrain d’expérimentation pour identifier les leviers d’optimisation énergétique.
« Une IA durable, c’est une IA qui équilibre innovation et respect de l’environnement. Les outils comme Alumet sont un pas dans cette direction. »
– Denis Trystram, chercheur à l’Institut interdisciplinaire pour l’IA
Pour aller plus loin, les experts appellent à une collaboration mondiale. Les données sur l’impact environnemental de l’IA doivent être partagées plus largement, et les fabricants de matériel doivent jouer le jeu de la transparence. Sans ces efforts, l’IA risque de devenir un fardeau écologique plutôt qu’une solution.
Un enjeu de société
L’IA générative n’est pas qu’une prouesse technologique : elle soulève des questions éthiques et sociétales. En rendant ses impacts plus visibles, les outils comme Green Algorithms ou Alumet permettent aux décideurs, entreprises et citoyens de faire des choix éclairés. Mais la route est encore longue. La transparence et l’innovation doivent aller de pair pour que l’IA devienne un outil au service de la planète.
En conclusion, mesurer l’empreinte carbone de l’IA est un défi complexe, mais essentiel. Les initiatives actuelles, portées par des chercheurs et des startups, montrent qu’un avenir plus vert est possible. Reste à savoir si l’industrie suivra cette dynamique pour faire de l’IA un allié de la transition écologique, plutôt qu’un obstacle.