
In Vivo Réinvente l’Agriculture Durable
Imaginez une petite parcelle de 13 hectares, nichée à Milly-la-Forêt, où se joue l’avenir de l’agriculture française. Ce n’est pas une ferme ordinaire : c’est un laboratoire à ciel ouvert, où chaque culture, chaque pratique, est scrutée pour répondre à une question cruciale : comment rendre l’agriculture durable sans ruiner les agriculteurs ? In Vivo, géant des coopératives céréalières, y invite des acteurs comme Mondelez, le roi du biscuit, pour explorer des solutions concrètes. Leur ambition ? Transformer les pratiques agricoles tout en impliquant toute la chaîne alimentaire, du champ à l’assiette.
Openfield : Un Laboratoire pour l’Agriculture de Demain
La plateforme Openfield, créée par In Vivo, n’est pas une ferme comme les autres. Sur ces 13 hectares, 14 cultures sont testées en rotation, soumises à des pratiques variées : agriculture conventionnelle, réduction des pesticides, limitation du travail du sol, ou encore optimisation du stockage carbone. Ce terrain d’expérimentation, visité par des partenaires comme Mondelez le 12 juin dernier, sert de vitrine pour démontrer les coûts et bénéfices des changements agricoles. L’objectif est clair : sensibiliser les industriels aux défis des agriculteurs et les inciter à financer la transition.
« La décarbonation de l’agroalimentaire passe par celle de l’agriculture. Openfield montre ce que cela implique concrètement. »
– Aline Delpierre, Agrosolutions
Pourquoi une telle démarche ? Parce que l’agriculture représente 86 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur agroalimentaire en France. Réduire cet impact nécessite des changements profonds, mais ceux-ci ont un coût. In Vivo utilise Openfield pour chiffrer précisément ces transformations et convaincre les acteurs industriels de partager la facture.
Les Défis de la Décarbonation Agricole
Chaque hectare de grandes cultures émet en moyenne 3,35 tonnes de CO2 par an, principalement à cause de la fertilisation azotée et de la perte de carbone des sols. Sur Openfield, In Vivo teste des leviers pour réduire ces émissions, comme diminuer les doses d’azote ou adopter des pratiques favorisant le stockage du carbone. Résultat ? Une économie potentielle de 0,8 tonne de CO2 par hectare, soit 25 % des émissions totales. Mais ces changements ne sont pas gratuits.
Le coût médian de la transition s’élève à 150 euros par hectare, mais peut grimper jusqu’à 300 euros pour certaines exploitations. Ces chiffres, issus d’expérimentations réelles, contrastent avec les simulations théoriques. Ils montrent que la transition est à la fois possible et coûteuse, surtout si elle s’accompagne d’une légère baisse de rendement.
- Réduction des engrais azotés : baisse de 10 % des doses, mais risque de perte de rendement.
- Couverts végétaux : favorisent le stockage carbone, mais compliquent le désherbage.
- Moins de travail du sol : réduit les émissions, mais augmente les besoins en herbicides.
Ces compromis illustrent la complexité de la transition. Les pratiques testées, bien que prometteuses, restent des ajustements plutôt qu’une révolution. Pour aller plus loin, il faudra innover.
L’Innovation au Service des Champs
Le 12 juin, la plateforme Openfield a mis en avant des startups prometteuses, comme Cyclair, une entreprise poitevine qui développe une machine de désherbage autonome. Cet engin, large de 7 mètres et capable de traiter un hectare par heure, coûte environ 200 000 euros. Pourtant, son fondateur, Sébastien Gorry, assure qu’il est compétitif face aux herbicides classiques, une fois l’amortissement pris en compte.
« Notre solution mécanique est à parité de coût avec les phytosanitaires, tout en préservant la biodiversité. »
– Sébastien Gorry, Cyclair
Ce type d’innovation répond à un autre défi majeur : réduire l’impact de l’agriculture sur la biodiversité. Les pesticides, largement utilisés en grandes cultures, sont une cause clé de l’effondrement des écosystèmes. En proposant des alternatives mécaniques, Cyclair ouvre une voie vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement, mais le financement reste un obstacle.
Qui Paiera la Transition ?
La question du financement est au cœur des discussions sur Openfield. Les consommateurs, souvent réticents à payer plus pour des produits « durables », ne semblent pas prêts à absorber ces coûts. Le marché des crédits carbone agricoles, avec des prix autour de 35 euros la tonne, est encore trop peu rémunérateur pour motiver les agriculteurs. Alors, qui prendra en charge les 150 à 300 euros par hectare nécessaires ?
Mondelez, partenaire historique d’In Vivo, propose une piste originale. Selon Isabel Moreira de Almeida, Principal Scientist chez le géant du biscuit, la clé réside dans la santé des consommateurs :
« En liant agriculture durable et santé, nous pouvons justifier un prix légèrement plus élevé en rayon. »
– Isabel Moreira de Almeida, Mondelez
Mondelez explore ainsi des blés « durables » qui, grâce à des analyses nutritionnelles, pourraient offrir des bénéfices santé. Ces variétés, développées avec des semenciers comme Limagrain, promettent de réduire les besoins en engrais tout en maintenant les rendements. Mais pour l’instant, aucun cahier des charges spécifique n’a été signé avec In Vivo.
Les Limites de la Transition Actuelle
Si Openfield impressionne par son ambition, la démarche a ses limites. Les pratiques testées, comme la réduction des engrais ou l’usage de couverts végétaux, sont des ajustements progressifs. Elles ne bouleversent pas le modèle agricole dominant. De plus, certaines solutions, comme le stockage carbone, peuvent aggraver d’autres problèmes, comme l’usage de pesticides pour gérer les mauvaises herbes.
Le tableau suivant résume les principaux leviers testés et leurs impacts :
Pratique | Impact CO2 | Coût (€/ha) | Limites |
---|---|---|---|
Réduction engrais azotés | -10 % | 50-150 | Perte de rendement |
Couverts végétaux | Stockage carbone | 100-200 | Augmentation pesticides |
Moins de travail du sol | -15 % | 150-300 | Désherbage complexe |
Ces données montrent que la transition est un équilibre délicat entre climat, biodiversité et économie. Pour aller plus loin, il faudra des innovations plus radicales et un engagement collectif.
Vers une Agriculture Régénératrice ?
L’agriculture régénératrice, souvent présentée comme la solution ultime, vise à restaurer les sols, préserver la biodiversité et séquestrer le carbone. Mais sur Openfield, elle reste un horizon lointain. Les pratiques actuelles, bien qu’utiles, ne suffisent pas à inverser des décennies de dégradation des sols, qui libèrent chaque année 18 millions de tonnes de CO2 en France, selon l’Ademe.
Pourtant, des signaux positifs émergent. Les partenariats entre In Vivo, Mondelez et des startups comme Cyclair montrent qu’une collaboration entre agriculteurs, industriels et innovateurs est possible. Ces acteurs partagent une conviction : la transition écologique ne peut réussir sans un modèle économique viable.
- Collaboration : Impliquer toute la chaîne agroalimentaire, du semencier au consommateur.
- Innovation : Développer des technologies comme le désherbage autonome.
- Financement : Trouver des modèles pour partager les coûts de la transition.
Le chemin est encore long, mais Openfield prouve que des solutions concrètes existent. Reste à les déployer à grande échelle.
Un Modèle pour l’Avenir
En réunissant agriculteurs, industriels et startups, In Vivo pose les bases d’un modèle collaboratif pour l’agriculture durable. Openfield n’est pas seulement un terrain d’expérimentation : c’est un espace de dialogue où les coûts et les bénéfices de la transition sont mis sur la table. Si Mondelez parvient à lier agriculture durable et santé, comme le suggère Isabel Moreira de Almeida, cela pourrait changer la donne en rayon.
Mais pour que ce modèle réussisse, il faudra surmonter plusieurs obstacles : des consommateurs sceptiques, un marché du carbone peu attractif, et des pratiques agricoles encore trop timides. La transition écologique de l’agriculture est un puzzle complexe, dont Openfield assemble patiemment les pièces.
Et si la solution passait par une révolution des mentalités ? En montrant que l’agriculture durable est non seulement possible, mais aussi bénéfique pour la santé et l’environnement, In Vivo et ses partenaires pourraient convaincre les consommateurs de payer quelques centimes de plus. Ce serait le début d’une nouvelle ère pour l’agroalimentaire.