
KNDS : 500 Millions d’Euros pour Dompter l’Économie de Guerre
Imaginez un pari industriel à 500 millions d’euros, lancé sans filet, dans un monde où chaque décision peut redéfinir l’avenir d’une entreprise. C’est l’histoire de KNDS France, un acteur clé de la défense qui a choisi de plonger tête baissée dans l’économie de guerre pour répondre à une demande explosive. Alors que les tensions géopolitiques secouent l’Europe, cette prise de risque pourrait bien redessiner les contours de l’industrie militaire française.
Quand l’Audace Devient une Arme Stratégique
En 2022, alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie éclate, KNDS, anciennement Nexter, se retrouve face à un défi colossal : produire plus vite, plus fort, et sans certitude. L’État français, après avoir livré 18 canons Caesar à Kiev, exige un réapprovisionnement rapide pour ses propres forces. Mais pour y parvenir, il faut revoir toute une chaîne de production figée dans des cycles longs et prudents.
Un Investissement à l’Aveugle
La direction de KNDS prend alors une décision qui aurait pu sembler insensée en temps normal : investir massivement sans contrats garantis. Près de **300 ébauchés métalliques**, essentiels pour les tubes des canons Caesar, sont commandés dès avril 2022. À Bourges, dans le Cher, l’usine se prépare à une production jamais vue, malgré des délais d’approvisionnement qui s’étendent parfois sur des mois.
« On a pris un risque industriel qui, pour une entreprise comme la nôtre, n’est pas anodin. »
– Nicolas Chamussy, Directeur Général de KNDS France
Cet investissement, évalué à **500 millions d’euros** sur trois ans, repose sur une intuition : la guerre en Ukraine ne sera pas un conflit éclair, et la demande pour des équipements comme le Caesar va exploser. Un pari risqué, surtout dans un contexte post-Covid où les coûts des matières premières grimpent et les composants électroniques se font rares.
Réinventer la Production en Temps de Crise
Avant cette transformation, KNDS produisait entre 10 et 15 canons par an, un rythme tranquille adapté à une époque de paix relative. Mais l’économie de guerre impose une cadence infernale. Objectif ? Passer de **22 mois à 12 mois** pour fabriquer un canon, et multiplier par six la production mensuelle. Un défi titanesque qui demande des ajustements radicaux.
- Modernisation des usines de Roanne et Bourges pour accélérer les processus.
- Achat anticipé de pièces critiques, comme les tubes de canons, malgré l’absence de commandes fermes.
- Recrutement et formation accélérée de personnel pour tenir la cadence.
Ces efforts portent leurs fruits. En 2024, KNDS livre 43 canons Caesar, contre une quinzaine par an auparavant. Et pour 2025, l’entreprise vise un record : **plus de 60 unités**. Une prouesse qui n’aurait jamais été possible sans cette anticipation audacieuse.
Le Canon Caesar : Une Star sur le Champ de Bataille
Si KNDS a osé ce pari, c’est aussi grâce à la réputation du Caesar. Ce canon mobile, capable de frapper des cibles à **40 km** avec une précision redoutable, s’est imposé comme une arme incontournable en Ukraine. Les forces de Kiev ne tarissent pas d’éloges, et les commandes affluent : Estonie, Arménie, Croatie, Danemark… Tous veulent leur part de cette technologie française.
En 2025, pas moins de **113 Caesar** auront quitté les chaînes de KNDS pour rejoindre les fronts ukrainiens. Un succès commercial qui valide l’instinct de l’entreprise, mais aussi sa capacité à livrer en un temps record. Par exemple, les canons défilant à Tallinn pour la fête nationale estonienne en février 2025 ont été commandés en juin 2024 – un exploit impensable avant cette révolution industrielle.
Les Obus de 155 mm : L’Autre Front de l’Effort
Les canons ne sont pas les seuls à bénéficier de cette montée en puissance. Les obus de 155 mm, vitaux pour les artilleurs ukrainiens, suivent la même trajectoire. En 2022, KNDS décide d’investir en autofinancement pour tripler sa capacité de production, passant de **35 000 à 100 000 obus par an** d’ici fin 2025.
À Bourges et en Belgique, les usines tournent désormais 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. De nouvelles machines d’usinage ultra-modernes ont été installées, et chaque minute compte. Une telle intensité illustre bien cette nouvelle réalité : dans l’économie de guerre, s’arrêter, c’est perdre.
Un Pari Gagnant, Mais Jusqu’à Quand ?
Pour l’instant, tout sourit à KNDS. Les commandes affluent, les délais se resserrent, et l’entreprise se positionne comme un pilier de la défense européenne. Mais Nicolas Chamussy reste lucide. Comme il le souligne, gérer une telle montée en puissance, c’est comme piloter un paquebot : freiner trop tard, et c’est la catastrophe.
« Si on freine 100 mètres avant le port, on percute la jetée. »
– Nicolas Chamussy, à propos des cycles de production
Avec les premières rumeurs de trêve entre l’Ukraine et la Russie en mars 2025, une question se pose : que deviendra cette machine de guerre industrielle si la demande s’essouffle ? KNDS devra-t-il réorienter ses capacités ou maintenir le cap, au risque de surproduire ?
Une Leçon pour les Start-ups et Industriels
L’histoire de KNDS n’est pas seulement celle d’un géant de la défense. C’est aussi une source d’inspiration pour les start-ups et les entreprises prêtes à prendre des risques. Dans un monde imprévisible, l’audace peut transformer une crise en opportunité. Voici ce qu’on peut en retenir :
- Anticiper les tendances, même sans garantie, peut créer un avantage décisif.
- Investir dans ses capacités internes renforce la résilience face aux chocs externes.
- Une vision à long terme, même risquée, peut séduire des clients inattendus.
Pour KNDS, ce pari de 500 millions d’euros n’était pas qu’une question de chiffres. C’était une déclaration : dans l’économie de guerre, l’innovation et le courage sont des armes aussi puissantes que les canons qu’elle produit.
Vers un Avenir Incertain mais Prometteur
Alors que les lignes de production tournent à plein régime, KNDS regarde déjà plus loin. Si la guerre en Ukraine s’apaise, ses capacités pourraient servir d’autres marchés, comme la défense européenne ou des exportations vers des zones en tension. Mais une chose est sûre : cette aventure a propulsé l’entreprise – et avec elle, le *Made in France* – sur le devant de la scène mondiale.
De la prise de risque initiale à la reconnaissance internationale, KNDS a démontré qu’une start-up mentality peut coexister dans une industrie lourde. Reste à voir si ce modèle, né dans l’urgence, saura s’adapter à un monde en perpétuelle mutation.