La Chine contourne les sanctions sur l’IA via le cloud américain
Alors que les États-Unis multiplient les restrictions pour limiter l'accès de la Chine aux technologies d'intelligence artificielle de pointe, les entreprises et universités chinoises semblent avoir trouvé une parade : exploiter les services cloud des géants américains comme Amazon et Microsoft pour se procurer les précieuses puces. Un contournement des sanctions en toute légalité qui soulève des questions sur la régulation du cloud computing et la course à l'IA.
La Chine ne lâche rien dans la course à l'IA
Depuis plusieurs années, les États-Unis tentent de freiner l'accès de la Chine aux semi-conducteurs avancés, notamment ceux destinés à l'IA comme les puces Nvidia A100 et H100. Washington a ainsi imposé une série de restrictions sur les exportations de ces technologies sensibles vers l'empire du Milieu. Mais Pékin n'a pas dit son dernier mot et compte bien rester dans la course.
Selon une enquête de Reuters, au moins 11 entités chinoises, dont des universités et des instituts liés à l'État, ont cherché ces derniers mois à se procurer des puces IA et des capacités de calcul avancées en passant par les services cloud de fournisseurs américains comme Amazon Web Services (AWS) et Microsoft Azure. Une astuce légale qui leur permet d'accéder à distance à ces technologies sans enfreindre les règles d'exportation.
Universités chinoises en quête de puissance IA sur AWS
Parmi les cas révélés, l'université de Shenzhen aurait ainsi dépensé l'équivalent de 25 000 euros sur un compte AWS pour louer des serveurs équipés des puces Nvidia A100 et H100, pourtant interdites d'exportation vers la Chine. De même, le Zhejiang Lab, un institut développant un grand modèle de langage appelé GeoGPT, aurait eu recours à AWS pour obtenir plus de puissance de calcul que ce que lui fournit le géant chinois Alibaba.
Microsoft Azure OpenAI aussi sollicité
Du côté de Microsoft, l'université du Sichuan a indiqué dans un appel d'offres en avril qu'elle achetait 40 millions de jetons Azure OpenAI pour construire une plateforme d'IA générative. Quant à l'Institut de recherche avancée de Suzhou, lié à la prestigieuse Université des sciences et technologies de Chine (USTC), il a cherché à louer 500 serveurs cloud alimentés par des puces A100, sans préciser chez quel fournisseur.
AWS respecte toutes les lois américaines applicables, y compris les lois commerciales, concernant la fourniture de services AWS à l'intérieur et à l'extérieur de la Chine
– Un porte-parole d'Amazon Web Services
Un vide juridique dans la régulation du cloud
Si ces pratiques sont légales, c'est qu'il existe actuellement un vide juridique dans la réglementation américaine. Celle-ci ne couvre que les exportations ou transferts physiques de produits, logiciels ou technologies, mais pas l'accès à distance via des services cloud. Une faille dans laquelle s'engouffrent les acteurs chinois pour contourner les restrictions.
Face à cette situation, le gouvernement américain tente de réagir. Une loi a été introduite au Congrès en avril pour permettre au Département du Commerce de réguler l'accès distant aux technologies sensibles. Et une règle proposée en janvier obligerait les fournisseurs de cloud à vérifier les utilisateurs de grands modèles d'IA. Mais ces initiatives n'en sont qu'à leurs débuts.
La souveraineté technologique en question
Au-delà du cas spécifique des puces IA, cette affaire illustre les enjeux de souveraineté technologique à l'ère du cloud computing. Alors que les données et les capacités de calcul migrent vers des infrastructures mutualisées contrôlées par une poignée d'acteurs, principalement américains, il devient plus difficile pour les États de réguler les flux technologiques.
Pour la Chine, l'accès aux services cloud des géants de la Silicon Valley est à la fois une opportunité de contourner les restrictions américaines et une dépendance stratégique vis-à-vis de fournisseurs étrangers. Un dilemme qui pousse Pékin à accélérer le développement de son propre écosystème cloud et IA, avec des champions nationaux comme Alibaba, Tencent ou Baidu.
Mais dans cette course effrénée à l'innovation, où les frontières du physique et du virtuel s'estompent, c'est tout l'équilibre géopolitique et la gouvernance mondiale des technologies émergentes qui sont remis en question. Entre coopération et compétition, ouverture et protectionnisme, les États cherchent encore le bon positionnement face aux défis du cloud, de l'IA et de la souveraineté numérique.
Une chose est sûre : dans cette partie d'échecs technologiques entre grandes puissances, la Chine vient de montrer qu'elle avait plus d'un coup dans son sac pour avancer ses pions. Reste à voir comment les États-Unis et leurs alliés ajusteront leur stratégie face à ce nouvel élément perturbateur.