
La Meusienne : Une Scop Réinvente le Made in France
Imaginez une usine au bord du gouffre, menacée de liquidation, reprise par une poignée d’ouvriers déterminés à ne pas laisser mourir leur savoir-faire. C’est l’histoire de La Meusienne, une entreprise de métallurgie nichée à Ancerville, dans la Meuse, qui a choisi de se réinventer sous la forme d’une Scop – une société coopérative de production. Aujourd’hui, ces 40 salariés-associés ne se contentent pas de survivre : ils innovent, diversifient leurs activités et redonnent un sens au « Made in France ». De la fabrication de tubes en acier à celle de pailles en inox, leur parcours est une leçon de résilience et de créativité.
Quand les Ouvriers Deviennent Entrepreneurs
L’été 2024 a marqué un tournant pour La Meusienne. Face à une liquidation judiciaire imminente, 40 salariés ont décidé de reprendre les rênes de leur usine. Ce choix audacieux n’était pas seulement une question de survie : il s’agissait de prouver qu’une autre manière de travailler est possible. En devenant une Scop, ils ont transformé une structure industrielle classique en une aventure collective où chaque voix compte.
Ce modèle coopératif n’est pas nouveau, mais il reste rare dans le secteur de la métallurgie. Ici, les décisions se prennent ensemble, et les bénéfices sont réinvestis ou partagés entre les associés. Pour Roxanne Creutz, la jeune directrice de cette Scop, c’est une révolution culturelle autant qu’économique : les salariés ne travaillent plus seulement pour un patron, mais pour eux-mêmes.
Surmonter les défis d’un passé compliqué
Reprendre une entreprise en difficulté ne va pas sans obstacles. Pendant des décennies, La Meusienne a connu des restructurations, des investissements mal pensés et des tensions avec ses anciennes directions. Une machine à laser ultra-performante, capable de produire des tubes de 12 mètres, dort aujourd’hui dans un coin, faute de clients. Ces échecs ont laissé des traces dans les esprits.
Pourtant, les salariés-associés refusent de se laisser paralyser par ce passif. « Quand on parle d’investir, ça réveille des souvenirs douloureux », confie Roxanne Creutz. Mais avec des moyens limités, l’équipe mise sur des solutions simples et pragmatiques, comme le déblaiement d’une fosse oubliée pour optimiser la production sans dépenser une fortune.
« On a démonté une machine de 7 tonnes nous-mêmes et on l’a déplacée avec nos propres engins. Pourquoi payer plus quand on peut le faire ? »
– Bruno Chartron, technicien process à La Meusienne
Diversification : le façonnage comme bouée de sauvetage
Pour garantir sa pérennité, La Meusienne ne peut plus se contenter de produire en masse des tubes invendus. L’équipe a donc choisi de diversifier ses activités, notamment via le **travail à façon**. Ce service consiste à mettre les machines et le savoir-faire de l’usine au service d’autres entreprises, comme découper des bobines de métal avec une précision chirurgicale pour des clients débordés ou éloignés.
Un exemple concret ? Un fournisseur a récemment demandé à La Meusienne de travailler sur des bobines de 2 tonnes. En trois jours, l’équipe a adapté une machine pour répondre à cette demande. Résultat : des clients satisfaits et une nouvelle source de revenus qui représente déjà 5 % du chiffre d’affaires, permettant d’amortir les charges fixes.
Cette stratégie séduit aussi par son aspect économique et écologique. En réduisant les trajets – un transport depuis l’Allemagne coûte 1500 euros contre 800 euros en France – l’usine attire des grands groupes européens cherchant à optimiser leurs coûts tout en restant dans une logique de **relocalisation**.
Les pailles en inox : un pari audacieux
Si le façonnage sécurise les finances, c’est un produit inattendu qui pourrait faire connaître La Meusienne au grand public : des **pailles en inox**. Tout a commencé par un défi lancé par Roxanne Creutz à ses équipes : tester les limites des machines. Le résultat ? Une paille de 6 millimètres de diamètre, élégante et durable, prête à concurrencer les pailles plastiques jetables.
Ce projet n’a pas tout de suite fait l’unanimité. Entre les anciens qui préfèrent un fini brillant et les plus jeunes qui votent pour un aspect mat, les débats ont animé les ateliers. Mais une fois la fiche produit finalisée, l’objectif est clair : vendre 2000 lots de trois pailles à 15 euros, d’abord en ligne, puis via des distributeurs.
Ce n’est pas qu’une question de business. En s’inspirant du succès des verres *Duralex*, La Meusienne veut devenir un symbole du savoir-faire français auprès des consommateurs. Un reportage télévisé à venir pourrait bien donner le coup de pouce nécessaire pour lancer cette aventure.
Un carnet de commandes qui reprend vie
Après un début d’année 2025 marqué par l’incertitude politique, les commandes repartent à la hausse. Avec une activité tournée à 70 % vers l’export, La Meusienne retrouve des couleurs. Bruno Chartron, en charge de la production, a dû réorganiser les équipes pour répondre à la demande, remettant chaque opérateur à son poste sur des machines parfois délaissées.
Remy Meyer, avec ses 20 ans d’expérience, joue un rôle clé dans cette transition. Il forme ses collègues à la polyvalence, essentielle depuis que l’effectif a fondu de 90 à 41 personnes. Tubes ovales pour les tringles de magasins ou brillants pour l’agroalimentaire : chaque commande est une petite victoire.
Prospection et ambitions commerciales
Pour aller plus loin, La Meusienne mise sur une stratégie commerciale offensive. Anne-Virginie Strozic, responsable commerciale depuis 1999, écume les salons professionnels comme *Global Industrie* à Lyon. « On ne trouve pas toujours des acheteurs sur place, mais on repart avec des contacts précieux », explique-t-elle. Un simple post LinkedIn a même suffi à attirer de nouveaux prospects.
Roxanne Creutz, elle, voit grand. Une rencontre au Sénat avec des dirigeants de grands groupes français pourrait ouvrir des portes dans des secteurs stratégiques comme l’aéronautique ou la défense. Une commande test pour un industriel aéronautique est déjà en cours, et la labellisation « Made in France » pourrait devenir un atout décisif.
Une industrie au service du territoire
La Meusienne, c’est aussi une histoire ancrée dans la Meuse depuis 120 ans. Cette longévité a forgé un lien fort avec le territoire, et la Scop entend le perpétuer. En relocalisant des activités et en innovant localement, elle prouve que l’industrie peut encore prospérer loin des grandes métropoles.
Pour les salariés, cette aventure est une fierté. « On ne travaille plus seulement pour un salaire, mais pour construire quelque chose ensemble », résume Remy Meyer. Une philosophie qui pourrait inspirer d’autres entreprises en quête de sens.
Les clés du succès : simplicité et créativité
Si La Meusienne réussit là où tant d’autres ont échoué, c’est grâce à une recette simple : faire avec ce qu’on a, mais le faire bien. Voici les ingrédients de cette renaissance :
- Optimisation des outils existants, comme la réinstallation d’une machine pour quelques milliers d’euros.
- Diversification maligne avec le façonnage et les pailles inox.
- Une équipe soudée, portée par un modèle coopératif.
Cette approche pragmatique, alliée à une touche de créativité, permet à la Scop de viser des marchés aussi variés que l’agroalimentaire, l’aéronautique ou le grand public. Une belle preuve que l’innovation ne nécessite pas toujours des millions.
Un avenir à écrire collectivement
À l’heure où les discours sur la réindustrialisation et la souveraineté économique se multiplient, La Meusienne incarne une réponse concrète. Elle montre qu’avec de la volonté, une pincée d’ingéniosité et un modèle collaboratif, une petite usine peut non seulement survivre, mais prospérer.
Les prochains mois seront décisifs. Entre le lancement des pailles inox, les négociations avec de grands industriels et une visibilité accrue, la Scop a toutes les cartes en main pour écrire une nouvelle page de son histoire. Une histoire qui, espérons-le, inspirera d’autres entrepreneurs à suivre ce chemin audacieux.