La stratégie mystérieuse d’Air Products pour verdir TotalEnergies
Quand il s'agit de décarboner ses raffineries européennes, TotalEnergies mise sur un partenaire inattendu : l'américain Air Products. Ce dernier vient en effet de décrocher un contrat majeur pour fournir 70 000 tonnes d'hydrogène vert par an au géant français pendant 15 ans, à partir de 2030. Une annonce qui a pris de court les observateurs, tant la stratégie hydrogène d'Air Products reste mystérieuse en Europe. Décryptage.
Air Products mise tout sur un projet pharaonique en Arabie Saoudite
Pour l'heure, le seul projet connu de production massive d'hydrogène vert d'Air Products se trouve à Neom, la ville futuriste en construction au nord-ouest de l'Arabie Saoudite. Un pari à 8,4 milliards de dollars pour bâtir la plus grande usine d'hydrogène décarboné au monde, en partenariat avec le spécialiste saoudien de l'électricité ACWA Power.
Malgré les controverses sur le respect des droits humains et les déboires du projet Neom, Air Products va de l'avant. Les travaux ont débuté et les premiers électrolyseurs sont même en phase de test. À terme, le site devrait produire 600 tonnes d'hydrogène par jour dès 2027. Un volume titanesque, dont l'écoulement est garanti sous forme d'ammoniac vert pendant 30 ans selon l'industriel américain.
L'Europe, grande absente de la stratégie hydrogène d'Air Products
Le contrat avec TotalEnergies pourrait laisser penser qu'une partie de cet hydrogène saoudien finira dans les raffineries européennes. Car pour l'instant, Air Products n'a annoncé aucun autre projet de production d'hydrogène vert sur le Vieux Continent. L'industriel préfère miser sur l'hydrogène bleu, issu du gaz naturel avec capture du CO2 :
- Aux Pays-Bas, il va fournir la raffinerie ExxonMobil de Rotterdam en captant le CO2 pour le stocker en mer du Nord.
- D'autres projets d'hydrogène bleu sont attendus au Canada et aux États-Unis.
- En Europe, Air Products regarde surtout du côté des carburants propres à base d'ammoniac vert de Neom, notamment aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Allemagne.
On regarde aussi l'Europe du Sud dont la France.
David Martin, vice-président France d'Air Products
TotalEnergies, premier acheteur d'hydrogène vert d'Air Products
Si rien n'indique officiellement que l'hydrogène vert saoudien approvisionnera directement Total, le fait que le groupe français soit le premier "client" de taille pour ce produit est révélateur. Il conforte Air Products dans son pari d'investir massivement à Neom, sans attendre d'avoir des débouchés contractualisés.
Cet accord ouvre aussi des perspectives de partenariat plus larges entre les deux groupes, notamment dans les énergies renouvelables. Total a ainsi signé un protocole pour acheter 150 MW d'électricité solaire à Air Products au Texas. De quoi alimenter les espoirs de voir un jour l'hydrogène vert américain, voire saoudien, couler à flots dans les raffineries françaises.
Un secret bien gardé sur la stratégie hydrogène d'Air Products
Au-delà du contrat avec Total, c'est toute la stratégie hydrogène d'Air Products qui reste nimbée de mystère. Le groupe de Pennsylvanie, connu pour sa culture discrète et technique, avance ses pions sans faire de vagues. Il produit déjà 9000 tonnes d'hydrogène gris par jour dans le monde, pour l'industrie et la mobilité.
Mais sa feuille de route pour basculer vers l'hydrogène décarboné est encore floue, en dehors du méga-projet saoudien et de quelques unités d'hydrogène bleu en projet. Une approche en contradiction avec l'appétit affiché du management pour cette molécule, érigée en priorité stratégique pour le climat. Les concurrents européens comme Air Liquide et Linde, plus diserts sur leurs ambitions, pourraient en profiter pour prendre le leadership sur ce marché en devenir.