La transition électrique des carrières : un défi technologique
Imaginez une constellation de machines électriques éclairant la nuit. Non, vous n'êtes pas dans un centre spatial mais bien dans une carrière moderne ! Les exploitants de carrières sont en effet en train d'opérer une véritable révolution technologique en passant leurs engins d'extraction à l'électrique. Un changement majeur qui n'est pas sans défis mais qui ouvre la voie à une industrie plus durable.
La Grande Ourse brille à Amnéville
Direction la carrière d'Amnéville en Moselle, où le groupe NGE a investi 17 millions d'euros dans un projet baptisé "La Grande Ourse". Objectif : remplacer les 11 moteurs thermiques qui équipaient les machines mobiles par des installations fixes 100% électriques. Résultat, la consommation de gazole a chuté de 65% et les émissions de CO2 de 1000 tonnes par an !
Mais passer ses machines à l'électrique n'est pas qu'une question de prise. Il a fallu repenser l'alimentation du site en installant un point de livraison très haute tension et en signant une convention d'effacement. Les machines étant désormais éloignées de 1,5 à 2 km, d'importants travaux de terrassement et de réseaux ont dû être menés.
Placo passe au courant à Cormeilles-en-Parisis
Changement de décor à la carrière de gypse de Cormeilles-en-Parisis dans le Val d'Oise. Depuis avril, Placo (groupe Saint-Gobain) y a remplacé ses 4 pelles d'extraction diesel par une unique pelle électrique alimentée par câble. Un investissement de 4,5 millions d'euros qui a nécessité l'implantation d'un poste électrique de 1000 volts.
Au-delà de l'impact environnemental, ce changement a permis de moderniser les process et de revoir l'organisation. Fini l'attaque de plusieurs petits fronts, place au suivi d'un front unique. Le conducteur devient davantage superviseur, lançant des programmes d'extraction plutôt que de travailler à la force du poignet. Un changement de culture qui a nécessité un accompagnement des équipes.
Les géants du BTP avancent vers l'électrique
Les majors du secteur sont elles aussi en ordre de marche. Colas (Bouygues) affirme être engagé dans l'électrification de ses 500 carrières mondiales depuis "plusieurs décennies". Selon les régions et l'accès au réseau, les pelles peu mobiles sont électrifiées par câble ou des panneaux solaires sont déployés. L'entreprise teste aussi des chargeuses et tombereaux à batterie pour remplacer les modèles diesel.
Chez Lafarge (Holcim), une pelle sur chenilles électrique est utilisée depuis 2 ans pour les travaux d'extraction en eau dans les Yvelines. Un modèle qui "gagne en productivité en éliminant les temps d'arrêt pour faire le plein" selon son constructeur Liebherr.
Des défis d'intégration et d'alimentation
Si la transition est en marche, tous les équipements ne sont pas aussi simples à convertir. Les pelles de grande taille nécessitant des déplacements fréquents posent encore question. "Il faudrait transformer la méthode d'abattage avec des concasseurs primaires au plus près des fronts, or ils sont très lourds à bouger", explique Henri Belledent de l'Union nationale des producteurs de granulats.
L'alimentation électrique est aussi un enjeu central. Par câble ou batterie, la mobilité des machines dicte le mode d'approvisionnement en énergie. Certaines foreuses combinent les deux, se branchant pour forer et utilisant une batterie pour se déplacer. Un casse-tête qui explique que les ventes de matériel électrique restent en deçà des attentes des fabricants selon Charles Bénard, cofondateur de la startup Hiboo qui développe des solutions logicielles de gestion de flotte.
Data et biocarburants, les autres leviers de décarbonation
Au-delà de l'électrification, l'optimisation de l'utilisation des engins constitue un autre levier clé pour verdir les carrières. Des startups comme Hiboo proposent ainsi de collecter les données des machines pour analyser leur taux de ralenti (temps où le moteur tourne sans production) et lancer des actions correctives. Une approche basée sur la data et la formation des opérateurs.
Les biocarburants représentent une autre piste explorée, même s'ils restent plus chers que le diesel. L'hydrogène est également cité mais jugé difficile à mettre en oeuvre à ce stade. Plutôt qu'une bascule à 100% électrique, beaucoup parient sur une transition progressive et hybride dans les années à venir. Certains fabricants comme Sandvik développent d'ailleurs des gammes de chargeuses et camions hybrides diesel/électrique en parallèle de modèles tout électrique.
En somme, si le virage électrique des carrières est bel et bien enclenché, le chemin vers la décarbonation totale s'annonce encore long et semé d'embûches. Réorganisation des méthodes de travail, investissements dans les réseaux, formation des équipes... Les défis techniques et humains sont nombreux. Mais face à l'urgence climatique, l'industrie semble déterminée à accélérer sa mue. Un pari audacieux et nécessaire pour des sites réputés énergivores et polluants.