L’alliance nucléaire européenne pour accélérer la transition
Imaginez un instant : et si la clé de la transition énergétique en Europe se trouvait dans… le nucléaire ? C'est le pari que font 14 organisations patronales du Vieux Continent, emmenées par le Medef français. Le 12 février dernier, elles ont lancé à Paris une alliance dédiée à l'atome baptisée European Business Nuclear Alliance. Objectif affiché : permettre un développement plus rapide de l'énergie nucléaire en Europe pour atteindre la neutralité carbone. Une petite révolution quand on sait que le nucléaire est plutôt malmené ces dernières années par Bruxelles.
Un nouveau lobby pour déréguler le nucléaire
Cette alliance regroupe des pays déjà nucléarisés comme la France et la Belgique, mais aussi des pays qui souhaitent se lancer comme la Pologne ou la Roumanie. Cinq pays sont également observateurs : l'Espagne, la Grèce, l'Irlande, les Pays-Bas et le Portugal. Le but est clair : peser sur les décisions de la Commission européenne qui, selon les membres de l'alliance, freine aujourd'hui le développement du nucléaire en Europe avec ses réglementations et sa taxonomie verte très stricte. Patrick Martin, le président du Medef, résume la philosophie :
Les mots d'ordre sont «diplomatie économique», «neutralité technologique» et «dérégulation».
Patrick Martin, président du Medef
Concrètement, l'alliance veut obtenir un soutien financier pour les futurs projets nucléaires, notamment les petits réacteurs modulaires (SMR), de la part de la Banque européenne d'investissement. Elle souhaite aussi un assouplissement des règles en matière de financement et d'aides d'État pour les projets liés à l'atome.
Sortir du gaz et développer l'électrification
Pour l'alliance, il y a urgence. L'Europe doit sortir rapidement de sa dépendance au gaz, notamment russe, et miser sur une électrification massive de son économie pour alimenter ses data centers et développer l'intelligence artificielle. Selon le directeur exécutif de l'AIE Fatih Birol, l'Europe doit entrer dans « l'ère de l'électricité » en se dotant d'une véritable stratégie industrielle :
Les SMR sont «un must». Toutefois, déréguler le nucléaire ne suffira pas. La filière devra «se secouer» et se «discipliner» afin de respecter «coûts et délais».
Fatih Birol, directeur exécutif de l'AIE
Mais pour que l'électricité nucléaire soit compétitive, la filière doit aussi fournir une visibilité sur long terme aux industriels électro-intensifs qui pourraient fuir l'Europe si les coûts sont trop élevés. EDF s'est fixé un objectif ambitieux de trouver 150 TWh de nouvelles consommations électriques d'ici 2035. Tout l'enjeu pour l'alliance sera de trouver un équilibre entre une électricité nucléaire abordable et des investissements rentables pour les opérateurs.
Convaincre les européens et crédibiliser la filière
La tâche ne sera pas simple tant le nucléaire souffre d'une image écornée en Europe, suite aux accidents de Tchernobyl et Fukushima. Les erreurs industrielles passées comme les retards et surcoûts de l'EPR ont aussi entamé sa crédibilité. Pour convaincre de la pertinence du nucléaire, l'alliance devra :
- Démontrer sa contribution à la décarbonation et la souveraineté énergétique
- Prouver sa capacité à respecter coûts et délais, notamment sur les SMR
- Apporter de la visibilité long terme à ses clients avec des contrats compétitifs
- Rassurer sur la sûreté des installations et la gestion des déchets radioactifs
Le chemin sera long mais le changement de discours de la Commission européenne sur le rôle du nucléaire dans la transition ouvre une fenêtre d'opportunité. Reste à transformer l'essai dans les États membres, souvent divisés sur la question. Les batailles à venir au Parlement européen s'annoncent acharnées sur les futurs textes. L'alliance nucléaire devra jouer serré pour convaincre les décideurs et l'opinion. Diplomatie économique, pédagogie et transparence seront certainement ses meilleures armes.