Le Cloud, Terrain de Tensions Entre Amazon et EDF

Qui aurait cru que le cloud computing deviendrait le nouveau champ de bataille entre un géant de l'énergie et un mastodonte du numérique ? C'est pourtant bien ce qui se joue actuellement entre EDF et Amazon Web Services autour d'un contrat crucial pour la gestion des données des centrales nucléaires françaises.

Tensions autour d'un méga-contrat cloud

Tout commence en février 2024 quand EDF annonce avoir choisi AWS, la filiale cloud d'Amazon, pour numériser et héberger les données relatives aux pièces de ses 56 réacteurs nucléaires. Un contrat estimé à 860 millions d'euros devant permettre de fluidifier la maintenance en optimisant la gestion des stocks. Sauf qu'un an plus tard, le Canard Enchaîné affirme qu'Amazon aurait finalement refusé de signer, jetant un froid sur ce partenariat d'envergure.

Amazon s'est empressé de démentir l'information, se disant "ravi de travailler avec EDF". Mais le mal était fait. D'autant que selon le journal satirique, le cœur du litige concernerait l'accès potentiel des autorités américaines aux données hébergées, en vertu du très controversé CLOUD Act. Une perspective intolérable pour ce fleuron français de l'énergie.

Le nerf de la guerre : la souveraineté des données

Au-delà d'un simple contrat commercial, c'est bien la question de la souveraineté numérique qui est en jeu ici. Car si EDF assure que les informations les plus confidentielles resteront dans ses bases sécurisées, confier des données aussi stratégiques que celles liées au nucléaire à un prestataire non-européen inquiète au plus haut point.

Amazon refuse tout simplement d'écrire noir sur blanc qu'il ne fournira pas les données de ses clients français aux services de renseignement américains ou au Département de la Justice.

Un haut fonctionnaire cité par le Canard Enchaîné

Une accusation à laquelle AWS a répondu en martelant le contrôle total de ses clients sur la localisation et l'accès à leurs données. Mais cela suffira-t-il à rassurer les autorités françaises, très attachées à la souveraineté numérique ?

Des approches divergentes du cloud souverain

Face à ces inquiétudes, les principaux fournisseurs cloud mondiaux ont adopté des stratégies différentes pour adresser le marché français :

• Google et Microsoft ont noué des partenariats avec des acteurs tricolores de confiance (Thales, Orange...) pour co-construire des offres cloud de confiance.
• Amazon a opté pour une approche en solo en lançant son offre AWS Sovereign pour les secteurs sensibles, promettant une protection totale via une séparation physique et logistique des données.

Mais ce modèle de "cloud souverain" façon AWS ne convainc pas les plus critiques, qui pointent des garanties encore insuffisantes face à l'extraterritorialité des lois américaines.

Vers un cloud européen pour des données critiques ?

Au-delà du cas EDF-AWS, cette affaire remet sur le devant de la scène la nécessité pour l'Europe de bâtir une véritable industrie cloud souveraine. Un projet dans les tuyaux depuis des années mais qui peine encore à aboutir, face à la domination écrasante des géants américains.

Pourtant, dans un contexte géopolitique tendu où la donnée est devenue le nerf de la guerre économique et sécuritaire, il y a urgence à offrir une alternative crédible aux entreprises et administrations européennes pour leurs données les plus critiques. Faute de quoi, le Vieux Continent risque de voir sa souveraineté numérique progressivement grignotée, un contrat cloud après l'autre...