
Le faussaire qui a failli révolutionner la science
L'histoire regorge d'escroqueries et d'impostures en tout genre, mais peu ont réussi à berner d'éminents scientifiques comme l'a fait Denis Vrain-Lucas avec Michel Chasles au XIXe siècle. Cette affaire rocambolesque montre à quel point la quête de gloire et de reconnaissance peut aveugler même les plus grands esprits.
Michel Chasles, un mathématicien de renom
Michel Chasles était considéré comme « l'empereur de la géométrie » à son époque. Polytechnicien brillant, il était membre de l'Académie des sciences et jouissait d'une solide réputation au sein de la communauté scientifique. C'est donc tout naturellement vers lui que s'est tourné Denis Vrain-Lucas, un escroc d'une habileté redoutable.
Une collection de lettres exceptionnelles
Vrain-Lucas se présente à Chasles comme l'intermédiaire d'une noble famille souhaitant se séparer d'une immense collection de documents anciens. Il lui soumet quelques lettres signées de grands noms comme Rabelais, Molière ou encore Vercingétorix. Emballé, le mathématicien passe un accord pour acquérir l'intégralité des archives au fur et à mesure, afin soi-disant de ne pas attirer les convoitises.
Les rangs de l'Académie des sciences bruissent. Les messieurs drapés de manteaux noirs et de vertu trépignent d'impatience. Leur éminent collègue Michel Chasles s'apprête, en ce 15 juillet 1867, à faire une révélation fracassante sur l'attraction universelle.
L'Usine Nouvelle
Pascal a devancé Newton !
Parmi les milliers de documents, Chasles découvre une correspondance entre Blaise Pascal et Isaac Newton prouvant que le français avait élaboré la loi de l'attraction universelle 20 ans avant le britannique ! Une découverte capitale que le mathématicien s'empresse d'annoncer à ses confrères de l'Académie des sciences, provoquant stupeur et controverse.
Malgré quelques doutes émis sur des incohérences (comme l'âge des protagonistes au moment des échanges), la plupart des académiciens s'enthousiasment à l'idée de redonner ses lettres de noblesse à la science française, soi-disant spoliée de cette découverte majeure. Vrain-Lucas continue d'apporter de nouvelles preuves pour conforter la théorie.
L'imposture révélée au grand jour
Mais le pot-aux-roses finit par être découvert. En réalité, l'escroc a rédigé lui-même les 27 000 fausses lettres vendues à prix d'or à Chasles ! Le scandale est immense, ridiculisant le mathématicien et avec lui toute l'Académie des sciences.
Lors du procès en 1870, on s'émerveille du talent du faussaire autant qu'on se moque de la naïveté du scientifique, aveuglé par son désir de réécrire l'histoire. Vrain-Lucas écopera de 2 ans de prison et 500 francs d'amende. Chasles, lui, continuera à lui rendre visite, sans rancune.
Cette affaire illustre de façon éclatante les travers dans lesquels peut tomber la communauté scientifique :
- Désir de reconnaissance
- Chauvinisme exacerbé
- Crédulité face à des éléments "confirmant" une théorie
Elle montre l'importance de toujours garder un esprit critique et détaché, y compris face à des "preuves" qui semblent irréfutables. Car comme l'a tristement expérimenté Michel Chasles, il ne faut jamais se fier aux apparences, aussi alléchantes soient-elles !