Le Grand Est face au défi de la décarbonation industrielle
La décarbonation de l'industrie est un enjeu majeur de la transition énergétique. Dans le Grand Est, terre d'industrie, la filière bois-énergie est historiquement mobilisée pour réduire l'empreinte carbone des usines. Mais le changement climatique vient compliquer l'équation. Les forêts régionales, fragilisées par le réchauffement, peinent désormais à fournir suffisamment de biomasse pour répondre aux besoins. Face à ce défi, les acteurs explorent de nouvelles solutions pour verdir l'industrie.
Une filière bois-énergie à la peine
Avec 1,9 million d'hectares de forêts, le Grand Est est la première région productrice de bois en France. Pas étonnant donc qu'elle concentre plus d'un tiers des aides distribuées par l'Ademe pour développer la chaleur biomasse dans l'industrie. Sauf que les arbres souffrent. Entre 2013 et 2021, le solde entre production naturelle, prélèvements et mortalité était quasi nul selon l'Inventaire forestier national. La faute au réchauffement climatique.
« Les massifs régionaux souffrent le martyre », alerte Pascal Triboulot, vice-président de Fibois Grand Est. Un constat partagé par Antoine Sarrouille, ingénieur à l'Ademe : « Le principe de précaution prévaut désormais dans l'attribution de nouveaux financements pour des projets de grande ampleur recourant à la biomasse. »
Sofidel investit malgré tout
Certains industriels continuent pourtant de miser sur le bois-énergie, à l'image du papetier italien Sofidel. Il vient d'investir 12 millions d'euros dans une seconde chaudière biomasse sur son site de 500 salariés au nord de Nancy. Objectif : sécher ses produits, dont l'emblématique Sopalin, avec une énergie décarbonée à 95% dès 2025. Un pari audacieux vu le contexte.
Diversifier les sources d'énergie verte
Pour contourner la problématique, d'autres misent sur un mix. C'est le cas de l'usine Lactalis de Verdun, où une spectaculaire centrale solaire thermique préchauffe depuis fin 2023 l'eau d'une immense cuve. De quoi abaisser de 11% la consommation de gaz du site. La marche suivante - remplacer plus de 50% de la ressource fossile - sera franchie en 2027 avec une chaufferie biomasse.
La ressource en déchets de bois, déjà massivement utilisée, n'est pas une alternative selon l'Ademe.
– Philippe Ruch, ingénieur forestier interrégional à l'Ademe
Posséder sa propre unité de granulation pourrait être une solution, à l'image d'EDF qui étudie la fabrication de "black pellets" sur le site de sa centrale à charbon de Cordemais. Son homologue de Saint-Avold, elle, reste dans le flou. Reconvertir cette infrastructure mosellane à la biomasse, comme le souhaite Emmanuel Macron, nécessiterait 500.000 à 600.000 tonnes de granulés par hiver. Une goutte d'eau comparée aux 500 tonnes testées cet hiver...
Privilégier les usages nobles du bois
Face à la pénurie, l'Ademe appelle à réorienter la ressource vers les usages les plus vertueux :
- Le bois d'œuvre (charpentes, huisseries...) qui stocke durablement le carbone
- Le bois d'industrie (papier, panneaux, isolants) aux débouchés multiples
Leur production génère des connexes (écorces, sciures...) valorisables en énergie. Un modèle incarné par la scierie Gaiffe à Champ-le-Duc, qui alimente ses séchoirs et ceux de ses clients en brûlant ses sous-produits. Tout bénéfice pour la filière.
Malgré ces initiatives, décarboner l'industrie du Grand Est reste un sacré défi. Le bois-énergie, victime du réchauffement, n'y suffira pas. Mix d'énergies vertes, innovations, sobriété : c'est un cocktail de solutions qu'il faudra mettre en œuvre pour réussir la transition. Le chemin est encore long, mais la prise de conscience est là.