L’échec de la stratégie d’innovation du gouvernement fédéral
Avril 2024 restera dans les mémoires comme le mois où la stratégie d'innovation du gouvernement fédéral a implosé. Avec l'annonce choc d'une hausse du taux d'inclusion des gains en capital dans le budget fédéral, c'est tout l'écosystème tech canadien qui s'est senti visé. Une mesure qui a complètement éclipsé les (maigres) avancées sur des dossiers cruciaux comme l'open banking, le programme SR&ED ou la création de la tant attendue Corporation de l'innovation du Canada.
Mais au-delà de l'incompréhension et la colère suscitées, cette décision cristallise surtout une décennie de rendez-vous manqués en matière de politique d'innovation au Canada. Malgré les milliards déversés tous azimuts, le gouvernement libéral laisse un bilan plus que mitigé, incapable de répondre aux grands défis de compétitivité et de productivité du pays. Retour sur les raisons d'un échec annoncé.
Le grand paradoxe de la stratégie d'innovation libérale
Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement Trudeau n'a eu de cesse de répéter que l'innovation était une priorité nationale. Les initiatives et les budgets dédiés se sont multipliés, de la création des supergrappes à la mise en place d'un programme pour attirer les talents étrangers, en passant par un soutien massif à l'IA. Des investissements records, qui n'ont pourtant pas permis au Canada de combler son retard en matière d'innovation.
Car si les moyens déployés ont été colossaux, la vision et la cohérence ont cruellement manqué. Pressé de distribuer les fonds, le gouvernement a multiplié les programmes sans réelle stratégie d'ensemble ni objectifs clairs. Une approche dispendieuse et peu ciblée, qui n'a pas su répondre aux besoins concrets des entreprises innovantes.
Cette dernière décennie a été une décennie perdue en matière de politique d'innovation au Canada. Les signaux envoyés ont révélé de l'incompétence et une incapacité à faire avancer les choses.
Ben Bergen, Conseil Canadien des Innovateurs
Un manque criant de vision à long-terme
Au-delà des effets d'annonce, la politique d'innovation du gouvernement a souffert d'un manque criant de vision à long-terme. Obnubilés par la prochaine annonce, les libéraux ont négligé des réformes de fond pourtant essentielles pour bâtir un écosystème d'innovation performant :
- La modernisation désuète des lois sur la propriété intellectuelle
- La refonte en profondeur des crédits d'impôt SR&ED
- L'amélioration de la commercialisation de la recherche publique
Autant de chantiers cruciaux laissés à l'abandon, pendant que l'exécutif multipliait les effets d'annonce avec l'argent des contribuables. Une approche court-termiste, qui a empêché de s'attaquer aux problèmes structurels qui minent la compétitivité de la tech canadienne.
Des promesses non tenues qui fragilisent l'écosystème
Mais le plus gros reproche adressé au gouvernement concerne surtout son incapacité à tenir ses engagements. Plusieurs promesses phares de la stratégie innovation restent lettre morte :
- Open Banking : Malgré des consultations lancées dès 2018, le cadre tant attendu pour le partage sécurisé des données bancaires n'a toujours pas vu le jour, freinant l'essor des fintechs.
- Conseil de l'innovation : Annoncé en grande pompe en 2021, cet organisme censé conseiller le gouvernement en matière de politiques d'innovation n'a jamais réellement décollé.
- Corporation de l'innovation du Canada : La création de cette agence pour stimuler la commercialisation de la recherche, promise dès 2022, est au point mort.
Des lenteurs doublées d'un manque de prévisibilité politique, comme l'illustre le récent fiasco sur la hausse du taux d'inclusion des gains en capital. Après des mois de flou, le gouvernement tergiverse et laisse les entrepreneurs dans l'incertitude la plus totale. Une gestion erratique qui ébranle la confiance et fragilise la pérennité de tout l'écosystème tech.
Quel avenir pour l'innovation au Canada ?
Face à une compétition mondiale exacerbée pour attirer les talents et les capitaux, le Canada ne peut plus se permettre une politique d'innovation velléitaire. L'heure est venue de se doter d'une stratégie ambitieuse, cohérente et résolument tournée vers l'avenir.
Cela passe par des investissements ciblés dans les secteurs porteurs comme l'IA, la santé ou les technologies vertes. Mais aussi par des réformes de fond pour libérer tout le potentiel d'innovation de nos entreprises, universités et startups. Sans oublier le renforcement d'un environnement des affaires stable et compétitif, propice à l'entrepreneuriat et à la prise de risque.
Seule une action publique ambitieuse et coordonnée permettra au Canada de renouer avec son leadership en matière d'innovation. La balle est dans le camp du prochain gouvernement : parviendra-t-il enfin à faire de cette priorité nationale une réalité ?