L’écosystème québécois des startups face aux défis du financement
Alors que l'économie mondiale traverse une période difficile, les startups québécoises font face à un défi de taille : trouver les financements nécessaires pour assurer leur croissance et leur pérennité. Dans ce contexte, de plus en plus d'entrepreneurs se tournent vers les investisseurs américains, attirés par leur appétence au risque et leur capacité à injecter des fonds conséquents. Mais cette tendance est-elle vraiment la solution miracle pour l'écosystème des jeunes pousses du Québec ?
Un écosystème encore fragile et dépendant des fonds publics
Malgré des progrès significatifs ces 20 dernières années, l'écosystème des startups early-stage au Québec reste encore largement dépendant des financements publics et para-publics. Selon un récent rapport de Réseau Capital, la part des fonds privés est passée de 60% avant 2022 à seulement 52% entre 2022 et 2023, en raison notamment de la baisse générale des investissements et de la taille moyenne des fonds.
Si le paysage du capital-risque québécois s'est considérablement étoffé depuis 2003, avec un volume d'investissement multiplié par 9, la proportion de financement public reste encore élevée, à 48% en 2023. Un chiffre qui témoigne de la difficulté à attirer suffisamment de capitaux privés, en particulier pour les phases d'amorçage et de démarrage.
Le spectre des "entreprises zombies"
Pour Tom Birch, directeur général mondial du capital-risque et des technologies à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), cette situation engendre un autre problème : celui des "entreprises zombies", ces sociétés qui survivent artificiellement grâce aux subventions, sans réelle perspective de croissance ou de rentabilité.
L'écosystème des entreprises zombies ne dure pas trop longtemps dans la Silicon Valley, alors qu'au Canada, elles durent trop longtemps.
– Tom Birch, CDPQ
Selon lui, le Québec ne dispose pas d'acteurs comparables à Cisco pour racheter ces entreprises générant du chiffre d'affaires mais finalement stagnantes. Une situation qui maintient artificiellement en vie des projets peu viables, au détriment de l'émergence de nouvelles pépites.
Le grand appel d'air des investisseurs américains
Face à ces difficultés, de nombreux entrepreneurs québécois voient dans les investisseurs d'outre-Atlantique une planche de salut. Pour Ashley Werhun, cofondatrice et PDG de Mentorly, il n'y a aucune raison de se priver de cette manne providentielle :
Je ne pense pas qu'il y ait de raison pour laquelle vous ne preniez pas l'avion pour aller chercher des clients aux États-Unis, pour y lever des fonds.
– Ashley Werhun, Mentorly
Un avis partagé par David Charbonneau de Boréal Ventures, qui estime que les startups en difficulté de financement précoce n'ont d'autre choix que d'aller chercher des capitaux auprès des investisseurs américains. Ces derniers disposent en effet de moyens autrement plus conséquents, et d'un appétit au risque décuplé par l'abondance de liquidités.
Felicity Meyer, de BoxOne Ventures, abonde en ce sens, soulignant combien les investisseurs outre-Atlantique sont prêts à miser sur des idées jugées "ridicules" mais qui deviennent souvent des licornes. Un état d'esprit encore trop rare au Québec, selon elle.
Des limites et des défis à relever
Pourtant, tous ne partagent pas cet enthousiasme débordant pour les investisseurs américains. Pour David Nault, de Luge Capital, il serait illusoire de croire qu'ils vont débarquer avec leurs gros chèques pour sauver les startups en difficulté localement.
Il y a de l'argent pour les bonnes entreprises. Si une entreprise a du mal à lever des fonds dans son propre jardin, il est très peu probable qu'elle puisse en trouver ailleurs.
– David Nault, Luge Capital
Tom Birch rappelle également que l'attraction des capitaux américains est un processus réciproque. Si les fonds québécois n'investissent pas aux États-Unis, il sera difficile de convaincre les Américains de miser sur les startups locales. Un défi qui incombe selon lui aux fonds les plus matures comme Inovia Capital, les jeunes fonds devant se concentrer sur le marché domestique.
Vers un nouveau chapitre pour les startups québécoises ?
Au-delà de la quête de financements, les startups québécoises doivent aussi composer avec un contexte économique difficile, marqué par la hausse des taux et l'inflation. Une situation inédite pour toute une génération d'entrepreneurs, qui n'a connu que les années fastes post-crise de 2008.
Mais comme aime à le rappeler Tom Birch, c'est souvent dans les périodes de crise que se construisent les meilleures entreprises. À condition de savoir s'adapter, se réinventer et saisir les opportunités là où elles se trouvent. Même si cela implique de traverser l'Atlantique pour convaincre de nouveaux investisseurs de miser sur l'audace et le talent des startups québécoises.
Une chose est sûre : malgré les difficultés, l'écosystème tech du Québec regorge d'entrepreneurs brillants et déterminés, prêts à relever tous les défis pour faire émerger les licornes de demain. Et si le salut venait finalement de ce savant mélange entre la créativité locale et la puissance financière américaine ? L'avenir nous le dira.