Les bioordinateurs à cellules cérébrales vivantes dopés à la dopamine
Et si le futur de l'intelligence artificielle passait par l'intégration de tissus cérébraux humains dans nos ordinateurs ? C'est le pari de la startup suisse FinalSpark qui commercialise des "bioordinateurs", des puces électroniques cyborgs intégrant jusqu'à quatre organoïdes de cerveau humain maintenus en vie et stimulés à la dopamine pour améliorer leurs capacités d'apprentissage. Une avancée fascinante, à la frontière entre biologie et informatique, qui pourrait démocratiser l'utilisation de "wetware" neuronal ultra-efficient en énergie, là où les systèmes d'IA actuels sont de plus en plus énergivores. Mais cette technologie soulève aussi son lot de questionnements éthiques sur notre relation au vivant.
Le cerveau humain, modèle d'efficience pour l'IA
Là où les méthodes actuelles d'entraînement de l'IA consomment des quantités astronomiques d'énergie pour apprendre, le cerveau humain se contente d'une vingtaine de watts. Un modèle d'efficience énergétique qui inspire les chercheurs en informatique neuromorphique et "wetware computing", des domaines visant à émuler ou directement exploiter des architectures de type cérébral.
Le cerveau communique en effet principalement via des signaux électriques, compatibles avec l'électronique des puces en silicium. Des organoïdes cérébraux cultivés in vitro à partir de cellules souches peuvent ainsi être intégrés dans des circuits électroniques, où des électrodes permettent de les stimuler et de mesurer leurs réponses.
FinalSpark et ses puces à organoïdes cérébraux dopés
La startup FinalSpark pousse le concept encore plus loin en intégrant jusqu'à quatre organoïdes d'environ 10 000 neurones humains chacun dans ses "Neuropuces". Maintenus dans des conditions stériles et nourris par des fluides nutritifs, ces organoïdes peuvent être stimulés par des décharges électriques codant pour un environnement virtuel avec lequel ils peuvent interagir.
Mais la véritable innovation de FinalSpark est d'utiliser de la dopamine encapsulée dans les fluides, libérée par flashs lumineux, pour "récompenser" les organoïdes lorsqu'ils accomplissent une tâche correctement, et ainsi accélérer leur apprentissage par renforcement, à la manière des mécanismes cérébraux naturels.
Nous encapsulons la dopamine dans une cage moléculaire, invisible pour l'organoïde au début. Quand nous voulons le 'récompenser', nous l'exposons à des fréquences lumineuses spécifiques. Cette lumière ouvre la cage, libérant la dopamine et fournissant le stimulus voulu à l'organoïde.
– Dr Fred Jordan, co-fondateur de FinalSpark
DishBrain, un autre exemple de biocomputing
FinalSpark n'est pas la seule à explorer cette voie. La startup australienne Cortical Labs a présenté l'an dernier son système DishBrain, une puce électronique couverte de 800 000 neurones humains capable d'apprendre à jouer au jeu vidéo Pong en seulement 5 minutes, démontrant les capacités d'apprentissage ultra-rapide de ces architectures neuromorphiques hybrides.
Une plateforme de biocomputing dans le cloud
Avec sa plateforme Neuroplatform, FinalSpark propose désormais un accès dans le cloud à ses biopuces, permettant aux chercheurs et entreprises de louer du temps de calcul sur ces dispositifs cyborgs, avec des outils logiciels dédiés en Python pour interagir avec.
Si la technologie est encore balbutiante, la startup mise sur le fort potentiel des architectures neuromorphiques biologiques, jusqu'à un milliard de fois plus efficientes en énergie que les puces classiques, pour réduire l'impact environnemental de l'IA face à l'explosion des besoins de calcul. Mais de nombreux défis en termes de mise à l'échelle et de durée de vie des organoïdes restent à relever.
Questionnements éthiques sur le "wetware computing"
Au delà des prouesses technologiques, ces avancées soulèvent leur lot d'interrogations éthiques. Quel est le statut moral de ces organoïdes cérébraux ? Peut-on parler de "sentience" ou de "conscience" les concernant ? Des questions épineuses auxquelles se confrontent au quotidien les pionniers de ces technologies à la frontière du vivant.
Les humains ont longtemps exploité le vivant pour faire du travail, que ce soit la levure qui brasse notre bière ou les chevaux qui tiraient nos charrues. En un sens, ces biotechnologies s'inscrivent dans cette même logique d'ingénierie du vivant à notre service.
– Dr Fred Jordan, FinalSpark
Vers un futur de bioordinateurs ?
Le nom de FinalSpark, évoquant une "ultime étincelle" biologique préservée dans un monde technologique, n'est pas sans faire frémir. Et si l'avenir de l'informatique passait par le vivant plutôt que par le tout-silicium ? Un futur de bioordinateurs cyborgs, mêlant puces électroniques et tissus cérébraux humains drogués à la dopamine pour apprendre toujours plus vite ?
Une vision fascinante autant qu'dérangeante, qui nous confronte à de profondes questions sur notre relation à la technologie et au vivant. Une chose est sûre : les avancées dans le domaine du "wetware computing" risquent de faire grandement évoluer le paysage de l'IA dans les années à venir, avec son lot de promesses et de défis éthiques à relever.