Les Engrais Russes, Indispensables Malgré les Sanctions ?
Alors que les sanctions pleuvent sur la Russie depuis le début du conflit ukrainien, un secteur échappe encore largement aux restrictions : celui des engrais. Une situation paradoxale mais vitale pour l'agriculture européenne, dépendante des importations de fertilisants made in Russia pour assurer sa production. Plongée dans les arcanes d'un marché hautement stratégique.
Des engrais russes toujours bien présents en Europe
Malgré une baisse globale des échanges entre l'UE et la Russie, les importations d'engrais n'ont pas significativement diminué depuis 2022. Si un recul a bien été constaté dans un premier temps, un regain s'observe depuis début 2024, les industriels européens mettant en garde contre le risque de pénurie.
Un pays fait cependant figure d'exception : la France. À rebours du reste de l'Europe, l'Hexagone a même accru sa dépendance aux engrais russes, en particulier l'urée. Cet engrais azoté, traditionnellement moins prisé des agriculteurs européens, s'avère plus compétitif que les solutions locales dans un contexte de flambée des prix du gaz.
L'urée russe, un engrais devenu incontournable
Pourquoi un tel attrait soudain pour l'urée russe ? D'abord pour une raison de prix. Les producteurs russes, à l'image du géant EuroChem, proposent des engrais azotés sensiblement moins chers que leurs concurrents européens. Un argument de poids pour des agriculteurs déjà fragilisés par l'envolée de leurs charges.
Les Russes essaient de placer un maximum de leurs engrais et il se trouve que la France est un grand marché. Ils ont besoin de récupérer le plus de dollars possibles pour financer l'effort de guerre.
Analyse d'un expert du secteur des engrais
Ensuite parce que la Russie dispose de capacités de production colossales qu'elle entend bien écouler, sanctions ou non. Le pays a d'ailleurs annoncé son intention d'augmenter ses volumes de 10% en 2024 pour atteindre 64 millions de tonnes d'engrais, azotés compris.
Une dépendance impossible à rompre à court terme
Si la dépendance aux engrais russes apparaît problématique d'un point de vue géopolitique, une rupture des approvisionnements semble inenvisageable. D'abord parce que les industriels européens peinent déjà à soutenir la concurrence russe avec un gaz deux fois plus cher qu'avant la crise.
Les Russes ont des coûts de production imbattables, nous sommes très exposés.
Renaud Bernardi, directeur des ventes Europe de l'Ouest chez Lat Nitrogen
Surtaxer les engrais russes reviendrait à renchérir le prix des fertilisants, avec un risque inflationniste évident sur les produits agricoles. Un scénario explosif alors que le revenu des agriculteurs est déjà sous pression entre envolée des charges et effondrement des cours des céréales.
Vers une transition vers les engrais "verts"
Si une rupture brutale semble exclue, l'Europe mise sur une transition progressive vers des engrais décarbonés, produits à partir d'hydrogène renouvelable. Une solution séduisante mais pour l'heure bien plus coûteuse que le procédé traditionnel au gaz naturel.
En attendant ces engrais "verts", le Vieux Continent va devoir composer avec les importations russes pendant encore de longues années. Une situation complexe qui illustre la difficulté d'aller vite dans la reconfiguration des chaînes d'approvisionnement sur des intrants aussi stratégiques pour la sécurité alimentaire.
Un article réalisé à partir des informations et analyses de L'Usine Nouvelle.