
Les leçons à tirer de la chute de Northvolt pour l’industrie européenne des batteries
Quand une entreprise vue comme un fleuron en devenir vacille, c'est toute une industrie qui tremble. La mise en redressement judiciaire fin novembre de la startup suédoise Northvolt, considérée comme le champion européen des batteries électriques, fait l'effet d'une douche froide. À court de cash, incapable de livrer des batteries de qualité en quantité suffisante, le pionnier de cette industrie stratégique pour la souveraineté du continent se retrouve au bord du gouffre. Un revers cinglant qui soulève des questions sur la capacité de l'Europe à rattraper son retard face à l'Asie dans ce secteur clé de l'électrification des transports.
Les raisons d'un échec industriel
Fondée en 2016 par d'anciens cadres de Tesla, Northvolt nourrissait de grandes ambitions : maîtriser toute la chaîne de valeur des batteries, de la fabrication des composants au recyclage, en passant par leur assemblage à grande échelle. Las, la jeune pousse n'a pas réussi à tenir ses promesses. Son usine phare de Skellefteå en Suède, la première "gigafactory" européenne, n'a jamais atteint les cadences de production visées depuis son inauguration en 2022. Incapable de sortir 100 000 cellules de qualité par semaine comme prévu en 2024, Northvolt a perdu la confiance de clients majeurs comme BMW, qui a rompu un contrat de 2 milliards de dollars l'an dernier.
Comment en est-on arrivé là ? Des enquêtes de Reuters et du Financial Times ont mis en lumière de multiples défaillances :
- Des pannes à répétition et un manque de fiabilité des équipements de production, souvent d'origine chinoise
- Un personnel inexpérimenté et en sous-effectif pour faire tourner des lignes complexes
- Une course à la croissance irréaliste vu le niveau de maturité
- Des procédures de sécurité et de qualité insuffisantes
Bref, Northvolt semble avoir voulu aller trop vite en besogne, sans maîtriser les process de fabrication à grande échelle de produits aussi techniques que les batteries lithium-ion. Un péché d'orgueil qui lui coûte aujourd'hui très cher, avec une dette abyssale et une survie plus qu'incertaine.
Un électrochoc pour l'Europe
Au-delà du cas Northvolt, cet échec industriel fait tache pour la filière européenne des batteries électriques en construction. Des usines sortent de terre un peu partout, de la France à la Pologne en passant par l'Allemagne, avec l'objectif de fournir les constructeurs automobiles du continent en accumulateurs compétitifs et durables. Des acteurs comme le français Verkor ou l'alliance Automotive Cells Company (ACC) portée par Stellantis, TotalEnergies et Mercedes, se positionnent pour monter en puissance.
Mais les déboires de Northvolt rappellent que la marche est haute pour rivaliser avec les géants asiatiques qui trustent 90% du marché. Il ne suffit pas d'annoncer des gigafactories sur le papier, encore faut-il être capable de les faire tourner en atteignant rapidement qualité, coûts et volumes. Un défi industriel et technologique de taille, qui demande du temps et des investissements colossaux face aux mastodontes chinois, japonais et coréens.
Nous sommes une entreprise de quatre ans qui apprend, non pas à marcher, mais à courir contre des concurrents de quinze ans.
Yann Vincent, directeur général d'ACC
Pour que d'autres Northvolt ne se reproduisent pas, les experts plaident pour un soutien public accru aux startups européennes des batteries, via des aides à l'innovation, à l'industrialisation et à la formation. Car la souveraineté technologique du continent dans ce domaine en dépend. La Chine a massivement subventionné ses champions, l'Europe doit en faire autant à sa mesure si elle ne veut pas voir son industrie automobile fragilisée par sa dépendance aux fournisseurs asiatiques.
Rebondir plus fort collectivement
Les difficultés de Northvolt sont un coup dur, mais elles ne doivent pas éclipser les atouts et les progrès de la filière européenne des batteries. Des projets ambitieux avancent, comme la future méga-usine de Verkor à Dunkerque, ou le pôle français regroupant Renault, Verkor et la Gigafactory de Douai d'ACC. Les constructeurs automobiles s'impliquent pour sécuriser leurs approvisionnements, les États mettent la main à la poche, les talents sont là.
Et si la chute de Northvolt était finalement salutaire ? En montrant les limites d'un modèle trop solitaire et pas assez intégré, elle va peut-être inciter l'écosystème européen à jouer davantage collectif. À coopérer plutôt que se disperser, à mutualiser les forces et les savoirs pour accélérer sur l'innovation, l'industrialisation et le recyclage. Cette prise de conscience pourrait être le déclic pour bâtir une filière batteries vraiment souveraine et durable.
L'Europe a les moyens et la volonté de devenir un acteur majeur des batteries, elle l'a prouvé. Mais il lui manque encore un champion de niveau mondial. Le fiasco Northvolt montre la voie à ne pas suivre et la nécessité d'une approche plus coordonnée pour y parvenir. À ce prix, le Vieux Continent a encore toutes ses chances dans la bataille.