Lesage et Fils : Croissance Explosive dans la Viande
Imaginez un secteur où les abattoirs ferment les uns après les autres, où les marges fondent comme neige au soleil et où la grande distribution fait la loi sur les prix. Et pourtant, au milieu de ce paysage sinistré, une petite PME familiale du Nord de la France affiche une croissance insolente : +94 % de chiffre d’affaires en six ans. C’est l’histoire presque trop belle pour être vraie de Lesage et Fils, basée à Chemy, dans les Hauts-de-France.
Quand la troisième génération réinvente tout
François Lesage arrive en blouse blanche, le pas décidé, le téléphone vissé à l’oreille. Il gère dix choses à la fois, comme tout bon patron de PME qui se respecte. Avec son frère, ils ont repris l’entreprise fondée par leur grand-père et ont tout changé… ou presque. Car l’âme familiale est intacte, mais la stratégie, elle, a été complètement bouleversée.
En 2000 déjà, les deux frères sentent le vent tourner. Leur père avait bâti l’entreprise sur la restauration collective. Eux décident d’en sortir. Radicalement.
« On était saignés. Trois clients faisaient plus de 40 % du chiffre d’affaires et la seule phrase qu’on entendait, c’était : vous êtes trop chers. Quand tu rentres par le prix, tu sors par le prix. »
– François Lesage, co-dirigeant
La diversification ou la mort
Ils diversifient tout : clients, circuits de distribution, produits. Aujourd’hui, aucun client ne pèse plus de 2 % du chiffre d’affaires. Une règle d’or qui leur a sauvé la mise pendant le Covid, quand la restauration commerciale s’est effondrée du jour au lendemain.
Mais la vraie révolution, c’est la montée en gamme et la création de marques fortes. Dans les frigos géants de Chemy, on ne trouve plus seulement des morceaux de viande, mais des histoires :
- Yakuza – les pièces ultra persillées
- Black Pearl – le best-seller venu de Pologne
- BœufBlancRouge – les races françaises premium
40 % du chiffre d’affaires se fait désormais sur du haut de gamme, servi à Courchevel, Monaco ou Saint-Tropez. François Lesage l’assume sans complexe : « En France, il y a de plus en plus de riches et de plus en plus de pauvres. Le milieu disparaît. »
L’automatisation au service des hommes (et pas l’inverse)
En 2018, ils investissent 8 millions d’euros dans un outil neuf. En 2025, ce sera 12 millions de plus, dont 3 millions en fonds propres, pour tripler la capacité d’ici 2027. Et cette fois, l’automatisation est au cœur du projet.
Déjà, 1 million d’euros a été injecté en 2024 pour robotiser la préparation de commandes. Résultat ? Huit postes physiquement épuisants remplacés par trois robots qui empilent les bacs à 8 mètres de hauteur. Les opérateurs, eux, récupèrent les commandes sans se ruiner le dos.
Un salarié témoigne : il est passé de 25 000 pas par jour à 17 000 et n’a plus mal au dos. L’absentéisme a chuté, les arrêts maladie aussi. François Lesage le répète : « Les robots ne remplacent pas les hommes, ils leur permettent d’évoluer. »
S’approvisionner là où la qualité est, point
Autre tabou brisé : l’origine de la viande. Oui, plus de la moitié reste française ou européenne. Mais quand la qualité est au rendez-vous ailleurs, Lesage n’hésite pas. Pologne, Australie… tant que les standards sont respectés.
Seul ligne rouge : pas de viande brésilienne, à cause des pratiques d’élevage. Mais François Lesage défend l’accord UE-Mercosur : « On ne peut pas être les meilleurs sur tout. Il faut arrêter de croire que le Français est toujours supérieur. »
Des produits malins pour des restaurants en tension
Autre clé du succès : les produits élaborés. Travers de bœuf cuit 48 heures en basse température, pièces prêtes à l’emploi… Parfait pour des restaurants qui manquent cruellement de personnel qualifié et qui surveillent chaque centime d’énergie.
« On valorise des morceaux que le consommateur final boude, mais qui, bien travaillés, deviennent des produits stars à forte marge », explique le dirigeant.
Une philosophie simple : rester moderne ou mourir
François Lesage le martèle : « Il faut avoir les outils les plus modernes possibles. C’est la seule façon d’être ultra-compétitif. » Même si ça veut dire travailler avec un sous-traitant chinois parce que l’offre française (Exotec, notamment) a jugé le projet « trop petit ».
Dans un secteur où beaucoup de PME peinent à investir, où l’appareil productif vieillit à vue d’œil, Lesage et Fils fait figure d’exception. Pas de secret miracle, juste des choix courageux, une vision long terme et une gestion « en bon père de famille » qui n’exclut pas l’audace.
Preuve que même dans les secteurs dits « en crise », il y a de la place pour ceux qui osent penser autrement. Et investir. Massivement.
Dans le Nord, à Chemy, une petite PME montre la voie. Et elle n’a pas fini de grandir.