L’Europe peut-elle réduire sa dépendance aux engrais minéraux importés ?
Saviez-vous que l'Europe dépend à 68% des importations pour ses besoins en engrais phosphatés, et à 85% pour la potasse ? Ces nutriments essentiels à la croissance des plantes, au côté de l'azote, proviennent en grande partie de gisements miniers situés hors du Vieux Continent. Face aux risques géopolitiques et à l'urgence écologique, peut-on réduire cette dépendance ? Tour d'horizon des solutions possibles, de la diversification des approvisionnements miniers aux changements de pratiques agricoles.
Le défi de la concentration géographique des ressources
À la différence de l'azote, abondant dans l'air, le phosphore et le potassium doivent être extraits de roches, souvent concentrées dans un nombre restreint de pays :
Phosphates : le poids du Maroc
Le Maroc, via l'entreprise d'État OCP, contrôle environ 70% des réserves mondiales de phosphates. Si ce quasi-monopole inquiète, l'émergence de nouveaux acteurs comme le saoudien Ma'aden ou la diversification des exportations chinoises, jordaniennes et égyptiennes rassurent sur les risques de pénurie. En Europe aussi, des projets miniers sont à l'étude en Finlande, Norvège et Suède.
Potasse : la prépondérance canadienne
Un tiers de la potasse mondiale est extraite au Canada, donnant un rôle clé à des entreprises comme Nutrien et Mosaic pour amortir les tensions d'approvisionnement liées au conflit en Ukraine. En parallèle, de méga-projets miniers sont lancés par BHP au Canada, ainsi que des développements en Allemagne, Espagne et Angleterre.
Des solutions agronomiques pour gagner en autonomie
Au-delà de la diversification minière, les systèmes agricoles peuvent aussi évoluer pour réduire leur dépendance :
Miser sur les stocks naturels des sols
Contrairement à l'azote, le phosphore et le potassium sont bien retenus dans les sols. Selon une étude, la France pourrait ne pas épandre d'engrais phosphatés pendant 60 ans sans impact majeur sur les rendements, en mobilisant mieux les stocks constitués par les épandages passés !
Développer le recyclage, en commençant par les effluents d'élevage
La moitié du phosphore épandu en France provient déjà du recyclage des effluents d'élevage. Pour aller plus loin, les pistes incluent une meilleure valorisation des déchets alimentaires, ainsi que des matières fécales et urines humaines.
Adopter des pratiques agroécologiques
Allonger les rotations, implanter des couverts végétaux, limiter le travail du sol... Autant de leviers agronomiques pour stimuler l'activité biologique des sols et améliorer le recyclage naturel des nutriments, réduisant les besoins en apports externes.
Se passer d'engrais minéraux nécessite de recycler davantage les flux dans le système mais aussi d'adopter des pratiques agroécologiques, y compris pour lutter contre l'érosion des sols.
– Joséphine Demay, chercheuse en agronomie à l'Inrae
Il n'y a donc pas de solution miracle, mais une complémentarité d'approches pour réduire la dépendance européenne aux importations d'engrais minéraux. Si la souveraineté sur les approvisionnements reste un enjeu stratégique, c'est bien l'évolution des pratiques agricoles qui permettra de gagner en résilience sur le long terme. Le chemin est encore long, mais la prise de conscience semble enclenchée !