L’évolution du char de bataille : leçons de la guerre en Ukraine

Sur les champs de bataille ukrainiens, une nouvelle réalité s'impose : le roi des blindés vacille sur son trône. Face aux essaims de drones suicides et aux missiles antichars, les imposants chars de combat peinent à s'adapter. Devenus des cibles de choix, ils doivent revoir leur doctrine d'emploi et leur conception même. Une (r)évolution nécessaire pour rester pertinents demain.

L'heure du bilan pour les mastodontes d'acier

Les images de carcasses calcinées de tanks parsèment les réseaux sociaux. Selon le site spécialisé Oryx, l'Ukraine et la Russie cumulent déjà plus de 2700 blindés détruits en 2023, un chiffre considérable. Comment expliquer une telle hécatombe ? Un cocktail explosif de facteurs humains et techniques :

• Des missiles antichars surpuissants comme les Javelin ou NLAW
• L'utilisation inédite et redoutable de drones commerciaux armés d'explosifs
• Un terrain accidenté truffé de champs de mines
• Des problèmes de maintenance et de logistique (carburant, munitions)
• Des erreurs tactiques d'emploi et de coordination

Au final, les affrontements directs entre chars lourds relèvent presque de l'exception en Ukraine. La donne a changé. Dans ce contexte, c'est tout le concept du Main Battle Tank, fer de lance de la Guerre Froide, qui paraît remis en cause. Sa lourde cuirasse ne le protège plus des menaces asymétriques. Trop lent, trop gourmand en carburant, trop dépendant des fantassins, le roi des batailles d'hier doit s'adapter ou périr.

À la recherche d'un nouveau modèle

Pour certains experts, l'avenir appartient à des engins plus légers, rapides et furtifs. Exit les monstres d'acier de 60 tonnes, place à des véhicules 2 à 3 fois plus légers, bardés de technologies. Quelques pistes se dessinent :

• Mobilité : des moteurs plus discrets et autonomes
• Furtivité : une signature radar et thermique réduite
• Armement : des canons plus précis à longue portée
• Protection : des blindages réactifs, des systèmes anti-missiles
• Connectivité : l'intégration dans le combat collaboratif

C'est autour de ces axes que travaille Nexter, Krauss-Maffei et Rheinmetall sur le programme MGCS (Main Ground Combat System). Ce char du futur franco-allemand prévoit une famille de blindés complémentaires, dont des robots autonomes. De quoi bouleverser la physionomie des forces terrestres.

Les leçons de l'Ukraine nous poussent à repenser en profondeur le char de combat. Nos ingénieurs planchent sur des ruptures capacitaires majeures en termes d'agilité, de puissance de feu et de survie sur le champ de bataille de demain.

– Emmanuel Levacher, Directeur des Systèmes de Missions chez Arquus

Un avenir sous haute surveillance

Pour contrer la menace des drones, la plupart des chars actuels reçoivent déjà en urgence des "cages" sur leur tourelle et des brouilleurs. Mais il faudra aller plus loin, avec une véritable bulle de protection multi-couches :

• Des capteurs et un système d'alerte précoce
• Des leurres (fumigènes, infrarouges) pour tromper les missiles
• Des mitrailleuses téléopérées pour abattre les drones
• Des lasers et micro-ondes de brouillage

Les israéliens de Rafael proposent déjà le système Trophy, capable d'intercepter les roquettes et missiles antichars en approche. Cette protection active "hard kill" pourrait bien devenir un standard sur les futurs blindés.

Toutes ces évolutions technologiques auront évidemment un coût. Dans un contexte budgétaire tendu, difficile de prévoir des flottes massives de chars ultra-sophistiqués. L'avenir passera sans doute par un savant mélange d'anciens blindés modernisés et de nouveaux systèmes high-tech, le tout mieux intégré avec les autres composantes (infanterie, génie, artillerie, hélicoptères de combat). Le char ne sera plus le roi, mais restera un pion essentiel sur l'échiquier des opérations.

Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : face aux nouvelles menaces, le char doit évoluer ou mourir. Un enjeu crucial pour garder un temps d'avance et assurer la supériorité opérationnelle des armées occidentales. L'Ukraine a sonné le réveil, à l'industrie de défense d'y répondre. Le char de combat n'a pas dit son dernier mot !