L’hydrogène, la bulle explosive qui inquiète les industriels
L'hydrogène bas carbone est sur toutes les lèvres. Présenté comme un élément clé de la décarbonation de l'industrie et des transports, il suscite un engouement sans précédent. L'Union Européenne affiche des objectifs ambitieux, avec une capacité de production d'hydrogène « vert » de 10 millions de tonnes en 2030. Mais derrière les effets d'annonce, les réalités économiques risquent de rattraper le secteur. Gare à la bulle spéculative...
Une course effrénée aux capacités de production
Dopés par les subventions publiques, les projets d'usines d'électrolyseurs, ces équipements permettant de produire de l'hydrogène à partir d'électricité, se multiplient. Chacun veut sa part du gâteau, des startups aux géants de l'énergie. Mais cette ruée présente tous les symptômes d'un emballement:
- Les capacités installées fin 2023 seraient 7 fois supérieures aux besoins de 2024, selon BloombergNEF
- Seuls 4% des projets de production d'hydrogène par électrolyse avaient obtenu une décision d'investissement mi-2023
- Les industriels chinois produisent déjà des électrolyseurs en masse, 2 à 3 fois moins cher
Dans ces conditions, difficile d'imaginer que tous les acteurs survivront. Une consolidation brutale du secteur semble inévitable, avec son lot de faillites et de déconvenues.
Des perspectives de demande surestimées
Cette frénésie côté offre pourrait se heurter à une demande en berne. Car les ambitieux objectifs européens apparaissent de plus en plus déconnectés de la réalité :
- La demande finale d'hydrogène bas carbone ne représenterait que 12,5% des objectifs 2030, selon une étude du CEA
- Pour ArcelorMittal, l'hydrogène vert européen restera trop cher pour décarboner la sidérurgie
- Le coût de l'hydrogène « vert » pourrait rester supérieur à celui de l'hydrogène « gris » issu d'énergies fossiles
Après les espoirs déçus, des phénomènes cycliques de bulles pourraient persister à l'horizon 2050.
– Centre de réflexion Futuribles, mars 2023
Un optimisme béat sur les technologies
L'hydrogène bas carbone apparaît comme l'archétype de ces « technologies salvatrices » dans lesquelles certains voudraient voir une solution miracle pour lutter contre le réchauffement climatique, sans remise en cause profonde de nos modes de vie et de production. Un techno-solutionnisme arrangeant pour le monde politique comme pour l'industrie pétrogazière, mais qui pourrait s'avérer contre-productif :
- En donnant l'illusion d'une transition « indolore », il conduit à repousser les changements structurels
- Les moyens publics massifs engagés dans des « impasses » détournent l'argent d'investissements plus durables
- L'échec industriel et économique prévisible risque de décrédibiliser les efforts de décarbonation
Dans ce contexte, la prudence est mère de sûreté. Miser massivement sur l'hydrogène comme « carburant du futur » apparaît bien hasardeux. Des projets plus mûrs et robustes, comme l'électrification directe, représentent sans doute des paris plus sûrs pour avancer vers la neutralité carbone.