
L’IA au Canada : Adoption ou Régulation ?
Et si l’intelligence artificielle (IA) devenait le moteur de la prochaine révolution économique au Canada ? Lors d’une récente conférence à Ottawa, le nouveau ministre de l’IA et de l’innovation numérique, Evan Solomon, a dévoilé une vision audacieuse : faire de l’IA un levier de productivité tout en évitant de l’étouffer sous des réglementations trop lourdes. Cette approche marque un tournant par rapport aux politiques de l’ancien gouvernement, qui cherchait à jongler entre innovation et encadrement strict. Mais comment trouver l’équilibre entre un développement technologique effréné et une gouvernance éthique ? Cet article explore les ambitions du Canada pour l’IA, les défis réglementaires et les opportunités économiques qui pourraient redéfinir son avenir.
Une Nouvelle Ère pour l’IA au Canada
Le Canada se positionne comme un acteur clé dans la course mondiale à l’IA. Avec des hubs technologiques comme Toronto, Montréal et Vancouver, le pays a déjà produit des leaders mondiaux tels que Cohere, une start-up spécialisée dans le traitement du langage naturel. Pourtant, Evan Solomon, fraîchement nommé ministre, insiste sur un point : l’IA ne doit pas être freinée par des règles trop strictes. Lors de la conférence Canada 2020, il a comparé l’IA à un “cheval sauvage” qu’il faut guider sans le brider. Cette métaphore illustre sa volonté de privilégier l’adoption massive de l’IA, tant dans les grandes entreprises que dans les PME, tout en posant des garde-fous éthiques.
“Il ne s’agit pas de mettre une selle sur le cheval sauvage de l’innovation en IA, mais de s’assurer qu’il ne blesse personne.”
– Evan Solomon, ministre de l’IA et de l’innovation numérique
Sa vision s’inscrit dans un contexte où le gouvernement de Mark Carney, nouveau Premier ministre, mise sur l’IA pour dynamiser l’économie. Carney a promis 2,5 milliards de dollars pour développer les infrastructures numériques, notamment les centres de données. Cette stratégie vise à faire du Canada un leader en souveraineté IA, tout en évitant de se laisser distancer par des puissances comme les États-Unis ou la Chine.
Bill C-27 : Une Régulation en Suspens
Sous l’ancien gouvernement de Justin Trudeau, le Canada avait tenté de poser les bases d’une régulation de l’IA avec le projet de loi Bill C-27. Ce texte, qui n’a jamais été adopté, visait à encadrer l’IA tout en garantissant transparence et protection des données. Cependant, il a suscité des critiques, notamment pour son manque d’équilibre : selon Andrew Clement, professeur émérite à l’Université de Toronto, les consultations menées pour ce projet étaient trop orientées vers les intérêts des grandes entreprises, comme Cohere ou OpenAI, au détriment des groupes de la société civile.
Evan Solomon ne rejette pas totalement ce projet. “Bill C-27 n’est pas mort”, a-t-il déclaré, tout en précisant qu’il nécessitera une révision approfondie. Pour lui, une régulation efficace doit commencer par des priorités claires : protection des données, vie privée et éthique. Mais il met en garde contre une approche trop isolée, qui risquerait de placer le Canada en retard face à ses concurrents internationaux.
Pour illustrer ce point, Solomon critique les consultations prolongées et les études exhaustives qui ralentissent le processus. “Nous n’allons pas nous enfermer dans une boîte noire pour consulter 5 000 personnes et réinventer la roue”, a-t-il ironisé. Cette position reflète une volonté de pragmatisme, mais soulève une question : comment garantir une régulation inclusive sans tomber dans l’excès bureaucratique ?
Adoption de l’IA : Une Priorité Économique
Le ministre Solomon place l’adoption de l’IA au cœur de sa stratégie. Selon lui, l’IA pourrait augmenter le PIB canadien de 8 % d’ici 2030, une estimation corroborée par une étude de Microsoft Canada et Accenture. Pourtant, un rapport du National Bureau of Economic Research nuance cet optimisme, indiquant que les gains de productivité liés à l’IA, comme les chatbots, restent limités dans certains contextes. Malgré ces divergences, Solomon insiste sur l’urgence d’intégrer l’IA dans tous les secteurs, des grandes entreprises aux PME.
Pour encourager cette adoption, le gouvernement envisage des incitatifs comme des crédits d’impôt et des actions à flux continu. Ces mesures visent à rendre l’IA accessible aux petites entreprises, souvent freinées par des coûts initiaux élevés. Par exemple, une start-up comme Ada, qui développe des solutions d’IA pour le service client, pourrait bénéficier de telles politiques pour se déployer à plus grande échelle.
“L’adoption de l’IA par le gouvernement, comme réduire les temps d’attente pour les services publics, est un exemple concret de son potentiel.”
– Evan Solomon, ministre de l’IA et de l’innovation numérique
Un exemple concret ? Solomon cite l’utilisation de l’IA pour réduire les délais d’attente dans les services publics, comme les appels à l’Agence du revenu du Canada. Des outils comme ceux d’Ada pourraient automatiser certaines tâches, libérant ainsi des ressources humaines tout en améliorant l’expérience citoyenne.
Souveraineté et Compétition Mondiale
Dans un monde où l’IA est dominée par quelques géants technologiques, Solomon insiste sur l’importance de la souveraineté IA. À VivaTech, à Paris, il a plaidé pour une collaboration entre le Canada et l’Europe afin d’éviter de se faire distancer. “Mon plus grand crainte est que d’autres pays nous dépassent sur le plan de la compétitivité”, a-t-il déclaré, soulignant l’importance d’une approche concertée.
Pourtant, cette quête de souveraineté ne se limite pas à la coopération internationale. Elle passe aussi par des investissements massifs, comme la Stratégie canadienne de calcul IA souveraine, dotée de 2 milliards de dollars. Une partie de ce budget, soit 240 millions, est déjà allouée à un centre de données pour Cohere à Toronto. Ces initiatives visent à renforcer l’écosystème local tout en attirant des talents et des capitaux.
Benjamin Bergen, président du Conseil des innovateurs canadiens, soutient cette approche, mais appelle à une nuance. “Promouvoir l’adoption de l’IA, c’est bien, mais il faut que les entreprises canadiennes soient les leaders de ces technologies”, a-t-il déclaré. Cette vision met l’accent sur la création de valeur locale, un enjeu clé pour éviter que le Canada ne devienne un simple consommateur d’IA étrangère.
Défense et Innovation : Une Alliance Stratégique
Un autre levier surprenant évoqué par Solomon est celui de la défense. Aux États-Unis, le secteur militaire joue un rôle clé dans le soutien aux entreprises technologiques, souvent sous le prétexte de la sécurité nationale. Solomon souhaite reproduire ce modèle au Canada, en s’appuyant sur l’engagement de Mark Carney à atteindre l’objectif de l’OTAN de consacrer 2 % du PIB à la défense. Cette stratégie pourrait bénéficier à des entreprises technologiques locales, tout en renforçant l’industrie de la défense.
Cette approche soulève toutefois des questions éthiques. L’utilisation de l’IA dans le domaine militaire, par exemple pour des systèmes autonomes, pourrait susciter des débats sur les implications morales. Solomon lui-même reconnaît ce risque, plaidant pour un développement “non sans éthique ni valeurs”. Comment le Canada peut-il alors concilier innovation militaire et responsabilité ?
Les Défis de l’Équilibre Éthique
Si l’adoption de l’IA est une priorité, Solomon n’ignore pas les préoccupations éthiques. Les scandales liés à l’utilisation abusive des données ou aux biais algorithmiques rappellent l’importance d’une gouvernance solide. Mike Murchison, PDG d’Ada, propose une solution : réintroduire une version révisée de Bill C-27, avec des mesures pour promouvoir l’IA comme un bien public tout en renforçant la transparence.
Une liste des priorités éthiques pourrait inclure :
- Protection des données personnelles pour garantir la confidentialité.
- Transparence des algorithmes pour éviter les biais discriminatoires.
- Consultations inclusives impliquant la société civile et les peuples autochtones.
Ces principes pourraient guider la révision de Bill C-27, tout en répondant aux critiques sur les consultations biaisées de l’ancien gouvernement. Une approche équilibrée est essentielle pour maintenir la confiance des Canadiens dans l’IA.
Un Écosystème en Pleine Ébullition
Le Canada dispose d’un écosystème favorable à l’IA, avec des start-ups comme Cohere et Ada, ainsi que des hubs d’innovation à Montréal et Toronto. Scale AI, un supercluster financé par le gouvernement, joue également un rôle clé en soutenant la recherche et le développement. Adithya Rao, directeur des investissements chez Scale AI, salue la vision de Solomon : “Ce virage vers l’adoption est exactement ce dont l’écosystème avait besoin.”
Pour maximiser cet élan, le gouvernement pourrait s’inspirer de modèles étrangers. Par exemple, la France a lancé des initiatives comme France 2030, qui combine investissements publics et incitatifs pour les start-ups. Une approche similaire au Canada pourrait consolider sa position sur la scène mondiale.
Vers un Avenir Numérique Canadien
L’IA est à un tournant décisif pour le Canada. Entre les promesses économiques, les défis éthiques et les ambitions de souveraineté, le pays doit naviguer avec prudence et audace. Evan Solomon incarne cette dualité : encourager l’innovation tout en posant des balises éthiques. La révision de Bill C-27, les investissements massifs et la collaboration internationale seront des leviers clés pour y parvenir.
Mais le véritable défi sera de transformer ces ambitions en résultats concrets. Les start-ups canadiennes comme Cohere et Ada montrent la voie, mais elles auront besoin d’un soutien continu pour rivaliser avec les géants mondiaux. En équilibrant adoption et régulation, le Canada pourrait non seulement suivre la course à l’IA, mais aussi la mener.
Et vous, pensez-vous que le Canada peut devenir un leader mondial de l’IA sans sacrifier ses valeurs ? La réponse se jouera dans les années à venir.