L’Incubateur Savannah Innovation Labs Résiste à la Guerre au Soudan
Au cœur d'un Soudan déchiré par un violent conflit civil depuis plus d'un an, où rien ne semble épargné, un incubateur de startups fait preuve d'une résilience exemplaire pour maintenir sa mission envers et contre tout. Savannah Innovation Labs, fondé en 2018 par Yousif Yahya dans le but de favoriser l'innovation au Soudan, a dû fermer ses portes pendant six mois lorsque la guerre a éclaté en avril dernier. Mais aujourd'hui, il est de retour pour soutenir les entrepreneurs des régions plus sûres de l'est du pays.
Un contexte de guerre dévastateur pour les entreprises
La stabilité est un facteur clé pour la réussite des entreprises. Malheureusement, elle fait cruellement défaut au Soudan depuis un an et demi. Ce pays d'Afrique de l'Est est secoué par une guerre civile qui a déjà fait plus de 20 000 morts et déplacé 7,7 millions de personnes à l'intérieur du pays, sans compter les millions de réfugiés qui ont fui à l'étranger.
Dans ce contexte, la plupart des entreprises ont dû cesser leur activité. C'est ce qui est arrivé à Savannah en avril dernier, comme le raconte son fondateur Yousif Yahya :
Le samedi où la guerre a éclaté, nous avions des employés au bureau. Après trois jours, la milice RSF a frappé à la porte en disant : "Les gars, vous devez partir, sinon il y aura des balles dans l'air".
– Yousif Yahya, fondateur de Savannah Innovation Labs
Peu après cet avertissement, le conflit s'est intensifié. Les coups de feu se sont multipliés et les services de base comme l'eau et l'électricité ont été coupés. Pour Yousif Yahya, sa famille et de nombreux Soudanais, fuir vers l'Égypte voisine est devenu impératif pour survivre.
Continuer à construire malgré la guerre
L'exil n'est jamais une situation enviable, mais pour Yousif Yahya, ce répit en sécurité lui a permis de poursuivre ses projets pour Savannah. Opérant depuis Le Caire, la capitale égyptienne et l'un des plus grands hubs de startups d'Afrique, l'incubateur a pu relancer ses activités dans l'est du Soudan, une région relativement épargnée.
Le programme "We-Rise" de Savannah, financé par l'Union Européenne et la coopération italienne, vise à soutenir l'entrepreneuriat au Soudan. Il a accueilli plus de 300 entrepreneurs pendant un an, qu'ils soient en phase de démarrage ou juste au stade de l'idée. Les 100 finalistes du concours de pitch se partageront des subventions allant de 2500 à 7500 euros.
L'idée principale était de continuer à travailler. D'abord parce qu'il y a encore des jeunes dans le pays qui ont envie d'aller de l'avant, de créer des entreprises et d'apprendre. Ils n'ont pas les moyens de quitter le pays. Ensuite, si et quand la guerre s'arrêtera, nous ne voulons pas revenir à la case départ.
– Yousif Yahya
Miser sur les talents pour reconstruire
Au-delà des frontières du Soudan, Savannah tisse des liens avec les communautés de startups soudanaises dispersées en Ouganda, au Kenya et en Égypte. L'objectif : rassembler les forces vives pour bâtir le vivier de talents qui sera le moteur de la transformation numérique du pays.
Car pour Yousif Yahya, les talents doivent précéder les investissements nécessaires au renouveau national :
Tout l'enjeu est de développer le vivier de talents nécessaires pour créer des entreprises. Je ne dis jamais aux gens que c'est un succès du jour au lendemain. Mais les graines qui sont semées maintenant mettront du temps à être visibles.
– Yousif Yahya
Aujourd'hui, des milliers de personnes ont rejoint l'écosystème de startups soudanais grâce à Savannah. Parmi les pépites accompagnées : Bloom (désormais Elevate), la première startup soudanaise soutenue par le célèbre accélérateur américain Y Combinator.
Parier sur les marchés difficiles
En tant que partenaire du fonds Africa Renaissance Partners, Yousif Yahya veut investir sur des marchés inexplorés comme la Tanzanie, l'Éthiopie ou l'Ouganda, et même sur des zones de conflit comme le Soudan ou la République Démocratique du Congo (RDC). Cette dernière, ravagée par des conflits armés, reste pourtant l'un des marchés émergents les plus dynamiques pour les startups.
Si vous voulez des marchés à l'échelle, il faut regarder des endroits comme le Soudan, la République centrafricaine ou la RDC. Même si ces endroits sont déchirés par la guerre, le travail qui y est fait maintenant va réécrire le cadre des nouvelles économies.
– Yousif Yahya
Malgré son stade de développement encore embryonnaire, l'écosystème des startups soudanais compte plusieurs acteurs engagés comme 249Startups ou Impact Hub. Un vent d'espoir s'est levé après l'allègement de certaines sanctions en 2017. Et Yousif Yahya reste confiant en l'avenir :
Je parie qu'après la guerre, le Soudan sera un marché très mûr pour le capital-risque, car de nombreuses grandes entreprises familiales auront été détruites ou auront perdu beaucoup d'argent. Beaucoup de ces entreprises et de leurs dirigeants n'auront plus l'énergie de repartir. La nouvelle génération voudra entrer, créer des fonds et des cabinets de conseil dans les secteurs où leurs entreprises familiales étaient historiquement présentes.
– Yousif Yahya
Dans un Soudan meurtri mais déterminé à se relever, des acteurs comme Savannah Innovation Labs posent les bases d'un futur où l'innovation et l'entrepreneuriat seront les moteurs de la reconstruction. Un pari audacieux et inspirant.