Lithium Français Triplé par Imerys
Imaginez un trésor enfoui sous les terres tranquilles de l'Allier, capable de propulser la France au cœur de la révolution des batteries électriques. Ce n'est pas de la science-fiction : Imerys vient de révéler que son gisement de Beauvoir renferme trois fois plus de lithium qu'anticipé initialement. Une nouvelle qui pourrait bien redessiner la carte européenne des matières critiques.
Cette annonce, faite lors de la présentation des résultats semestriels le 29 juillet, n'est pas anodine. Dans un contexte où l'Europe cherche désespérément à réduire sa dépendance aux importations chinoises, ce gisement français devient soudain stratégique. Mais derrière l'enthousiasme, des défis colossaux se profilent.
Une Découverte Qui Change la Donne pour le Lithium Français
Les campagnes de forage menées par Imerys ont porté leurs fruits au-delà des espérances. Initialement évaluées à 117 millions de tonnes de minerai à 0,9 % d'oxyde de lithium en 2022, les ressources totales atteignent désormais 373 millions de tonnes à 1 % de Li2O. Une multiplication par plus de trois qui positionne Beauvoir parmi les cinq plus grands gisements de roche dure au monde.
Ce n'est pas seulement une question de volume. Le cœur du gisement concentre 69 millions de tonnes à 1,22 % de Li2O, renforçant significativement l'attrait économique. Sébastien Rouge, directeur financier d'Imerys, ne cache pas sa satisfaction face à cette concentration accrue qui impacte directement les coûts d'extraction.
L’augmentation des ressources et de la concentration – qui est importante pour le coût final du lithium – est une bonne nouvelle. Cela permettra notamment d’avoir une exploitation plus longue que prévue, d’une cinquantaine d’années.
– Sébastien Rouge, Directeur financier d'Imerys
Cette durée d'exploitation potentielle de 50 ans transforme le projet en une opportunité générationnelle. Contrairement aux mines australiennes qui affichent des teneurs entre 1 et 3 %, Beauvoir se positionne compétitivement parmi les nouveaux projets mondiaux, avec un coût de production estimé dans le bas de la fourchette 7-9 €/kg.
Comparaison Internationale des Gisements
Pour bien mesurer l'ampleur de cette découverte, un comparatif s'impose. Le projet Jadar de Rio Tinto en Serbie, malgré ses controverses, repose sur 143 millions de tonnes à 1,8 % de lithium. Les mines australiennes, leaders mondiaux, varient entre 1 et 3 % de teneur.
- Beauvoir (France) : 373 Mt à 1 % Li2O (cœur à 1,22 %)
- Jadar (Serbie) : 143 Mt à 1,8 % Li2O
- Mines australiennes : 1-3 % Li2O en moyenne
- Nouveaux projets mondiaux : Beauvoir parmi les meilleurs en cash cost
Ces chiffres placent le gisement français dans une position enviable, surtout considérant les coproduits comme l'étain et le tantale qui viendront diversifier les revenus.
Un Projet Plus Ambitieux, Plus Coûteux
Toute médaille a son revers. Si les réserves explosent, le coût du projet suit la même trajectoire ascendante. Initialement chiffré à un peu plus d'un milliard d'euros, l'investissement total atteint désormais 1,8 milliard d'euros. L'inflation et des normes environnementales plus strictes expliquent cette réévaluation.
La production commerciale, initialement prévue pour 2028, glisse à 2030. Cette décision d'investissement repoussée à 2027 donne plus de temps pour affiner le projet, mais allonge aussi la période d'incertitude. Imerys mise néanmoins sur des subventions, dont 200 millions d'euros déjà sécurisés via le crédit d'impôt industrie verte (C3IV).
Le calendrier reste cependant ambitieux : construction d'un pilote industriel dès l'obtention des autorisations, espérée dans les prochains mois. Cette phase de démonstration sera cruciale pour valider les technologies d'extraction et de raffinage développées spécifiquement pour le granite de Beauvoir.
La Quête de Partenaires Stratégiques
Face à l'ampleur de l'investissement, Imerys a lancé plus tôt que prévu une recherche de partenaires. Cette démarche n'est pas surprenante : le montant de 1,8 milliard d'euros dépasse largement les capacités d'un seul acteur, même pour un groupe de la taille d'Imerys.
Les profils recherchés ? Des industriels de la batterie, des constructeurs automobiles, ou des fonds spécialisés dans les matières critiques. L'objectif : partager les risques tout en créant une chaîne de valeur intégrée made in France, de la mine à la raffinerie de Montluçon.
Cette ouverture arrive dans un contexte de marché particulièrement déprimé. Depuis deux ans, le secteur traverse ce que les analystes appellent "l'hiver du lithium". Les cours du carbonate de lithium oscillent entre 7 et 9 euros le kilo sur les six premiers mois de 2025, loin des sommets de 2022.
La baisse a été brutale et nous sommes à un prix plancher depuis un certain temps. Mais nous nous attendons à une inversion des courbes entre offre et demande d’ici la fin de la décennie.
– Sébastien Rouge, Directeur financier d'Imerys
Le Contexte Délicat du Marché Mondial
Cette prudence d'Imerys fait écho à celle d'autres géants miniers. Rio Tinto, qui a déboursé 6,7 milliards de dollars pour Arcadium fin 2024, affirme que "les prix de marché actuels sont insoutenables". Le groupe anglo-australien prévoit un doublement de la demande d'ici 2035.
Plusieurs facteurs expliquent cette surproduction actuelle : la montée en puissance rapide des capacités chinoises, le ralentissement temporaire de la demande en véhicules électriques, et des projets lancés pendant la flambée des prix qui arrivent maintenant à maturité. Le résultat ? Une pression à la baisse qui a forcé de nombreux acteurs à geler leurs développements.
Imerys bénéficie paradoxalement de ce contexte. Le retard accumulé par l'écosystème européen des batteries – gigafactories en construction, normes en évolution – donne plus de temps pour peaufiner le projet Beauvoir. Moins de pression pour arriver vite sur un marché saturé.
Les Atouts Stratégiques du Lithium Français
Au-delà des chiffres, c'est la dimension géopolitique qui rend Beauvoir irrésistible. Produire du lithium en France, c'est garantir une traçabilité parfaite, des standards environnementaux élevés, et une indépendance vis-à-vis des chaînes d'approvisionnement asiatiques. Des arguments qui pèsent lourd auprès des constructeurs européens.
Le projet s'inscrit dans une logique de mine responsable. Exploitation souterraine pour minimiser l'impact visuel, recyclage des eaux, valorisation des coproduits : Imerys met en avant une approche durable qui contraste avec certaines pratiques sud-américaines ou australiennes.
- Traçabilité totale : Du minerai à la batterie, tout en France
- Standards élevés : Normes environnementales européennes
- Empreinte carbone réduite : Transport limité, énergie décarbonée
- Coproduits valorisés : Étain, tantale, kaolin existant
Les Défis Techniques à Surmonter
Extraire du lithium d'un granite n'a rien d'une promenade de santé. Contrairement aux saumures sud-américaines ou aux spodumènes australiens, le lithium de Beauvoir est intégré dans la structure minérale. Imerys développe des procédés spécifiques : calcination à haute température, lixiviation acide, purification poussée.
Le pilote industriel sera décisif pour valider ces technologies à l'échelle. Les autorisations environnementales constituent un autre hurdle majeur. Si les collectivités locales semblent globalement favorables – création d'emplois, développement économique – des associations restent vigilantes sur l'impact hydrique et les rejets.
La cohabitation avec l'exploitation historique de kaolin d'Échassières sera aussi un exercice d'équilibriste. Imerys assure que les activités lithium viendront en complément, sans perturber la production existante. Une intégration vertueuse qui pourrait servir de modèle.
Perspectives pour l'Écosystème Français des Batteries
Beauvoir ne sort pas du néant. Il s'inscrit dans une dynamique plus large de réindustrialisation française dans les batteries. Les gigafactories de Automotive Cells Company (ACC) à Billy-Berclau, de Prologium à Dunkerque, ou encore Verkor à Grenoble créent un appel d'air pour du lithium local.
Avec une production potentielle de plusieurs dizaines de milliers de tonnes de carbonate de lithium par an, Beauvoir pourrait couvrir une part significative des besoins français à l'horizon 2035. De quoi alimenter des millions de véhicules électriques et renforcer la souveraineté technologique européenne.
Cette intégration verticale – mine, raffinerie, gigafactories – constituerait un avantage compétitif unique. Les constructeurs comme Renault ou Stellantis pourraient sécuriser leurs approvisionnements tout en affichant un bilan carbone exemplaire. Un argument marketing puissant à l'heure où les consommateurs scrutent l'origine des matériaux.
Vers une Renaissance Minière Responsable ?
Trente ans après la fermeture de la dernière mine de lithium française, Beauvoir symbolise une possible renaissance. Mais une renaissance sous conditions : acceptabilité sociale, excellence environnementale, rentabilité économique. Imerys semble avoir intégré ces paramètres, mais la route reste semée d'embûches.
Le succès du projet dépendra de la capacité à fédérer un écosystème complet. Partenaires industriels pour partager l'investissement, pouvoirs publics pour les autorisations et subventions, collectivités pour l'acceptation locale, scientifiques pour l'innovation technologique. Un défi collectif à la hauteur des enjeux.
Si Beauvoir voit le jour, il pourrait devenir le fer de lance d'une nouvelle génération de mines européennes. Des mines qui ne sacrifient ni l'environnement ni les territoires, mais qui les valorisent. Une utopie réaliste ? L'histoire le dira, mais les premiers forage ont déjà répondu présent.
En attendant 2030, une chose est sûre : le sous-sol français recèle encore des surprises. Et quand innovation rime avec souveraineté, les perspectives deviennent infinies.