
Low Cost : Révolution dans l’Armement
Et si la clé pour renforcer les armées européennes résidait dans une approche radicalement nouvelle : produire des armes plus vite, moins cher, mais toujours aussi efficaces ? Dans un monde où les conflits exigent agilité et réactivité, l’industrie de l’armement explore des solutions inédites. Les drones low cost, les processus simplifiés et une autonomie européenne accrue dessinent un futur où la défense pourrait devenir aussi accessible qu’innovante. Plongeons dans cette révolution qui redéfinit l’économie de guerre.
Le Low Cost : Une Nouvelle Ère pour la Défense
La guerre en Ukraine a révélé une vérité brutale : les stocks de munitions européens étaient dramatiquement faibles. Avec des budgets de défense limités depuis des années, les armées ont privilégié des opérations de basse intensité, comme au Mali, où la consommation de matériel était minime. Mais face à un conflit de haute intensité, l’industrie doit se réinventer. La solution ? Une approche low cost qui ne sacrifie pas la performance.
Produire à bas prix tout en maintenant une qualité militaire est un défi audacieux. Les industriels, habitués à concevoir des équipements coûteux et sophistiqués, se tournent vers des modèles plus simples, inspirés par des pays comme l’Iran ou la Turquie. Ces nations produisent des drones en masse à des coûts dérisoires, capables de saturer les défenses ennemies. Cette logique, comparable à celle de la grande distribution, pourrait transformer la manière dont les armées s’équipent.
Le low cost est une révolution pour les industriels de l’armement.
– Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Iris
Pourquoi les Stocks Étaient-ils si Faibles ?
Avant 2022, l’industrie de défense française produisait principalement pour des conflits limités. Les budgets contraints ont conduit à réduire les réserves, notamment les stocks de munitions. Par exemple, les obus de 155 mm, essentiels pour l’artillerie, étaient fabriqués en quantités modestes. L’entreprise KNDS produisait 30 000 obus par an, loin des besoins colossaux de l’Ukraine, estimés à 2 millions d’obus en 2025.
Ce manque de préparation s’explique aussi par des choix stratégiques. Les armées européennes, focalisées sur des missions de contre-terrorisme, n’avaient pas anticipé un retour des guerres conventionnelles. Résultat : des capacités de production limitées et des chaînes d’approvisionnement fragiles, notamment pour des composants clés comme la nitrocellulose, indispensable aux munitions.
Les Défis de la Chaîne de Production
Augmenter la production d’armements ne se fait pas d’un claquement de doigts. Chaque maillon de la chaîne doit être renforcé, du composant chimique à la machine-outil. Prenons l’exemple d’Aresia, fabricant des bidons du Rafale. Cette entreprise peine à recruter des chaudronniers qualifiés, un métier en tension dans un secteur perçu comme peu attractif par les jeunes.
Les délais de livraison des équipements, comme les machines-outils japonaises nécessaires à la production, peuvent atteindre 18 mois. Ces goulots d’étranglement ralentissent la montée en cadence. Pourtant, des solutions émergent :
- Simplification des processus de certification pour gagner du temps.
- Réduction des spécifications techniques aux besoins essentiels.
- Investissements dans des capacités de production locales, notamment pour les poudres explosives.
Low Cost, mais Pas Low Tech
Le concept de low cost ne signifie pas un retour à des technologies obsolètes. Au contraire, il s’agit d’intégrer des innovations, comme l’intelligence artificielle, dans des équipements simples. Par exemple, les drones kamikazes, produits à quelques milliers d’euros, peuvent embarquer des algorithmes avancés pour des missions précises.
Les industriels européens observent avec intérêt les approches iraniennes et turques. Les drones iraniens, bien que rudimentaires, sont produits en masse et à bas coût, permettant de saturer les défenses ennemies. Cette stratégie pourrait inspirer des start-ups comme Fly-R, une entreprise réunionnaise qui développe des drones à ailes diamant pour l’armée française, avec un objectif de livraison dès 2027.
Vous pouvez avoir du contenu technologique dans du low cost.
– Jean-Pierre Maulny
Les Start-ups à la Rescousse
Les start-ups jouent un rôle croissant dans cette transformation. Contrairement aux grands industriels, elles sont agiles et capables d’innover rapidement. Fly-R, par exemple, illustre cette nouvelle vague. Basée à La Réunion, cette entreprise mise sur des designs simplifiés pour produire des drones à la fois performants et abordables. Leur objectif ? Fournir des solutions adaptées aux besoins de l’armée française tout en restant compétitifs.
Ces jeunes entreprises ne se contentent pas de copier les modèles existants. Elles repensent la conception même des équipements. En intégrant des technologies comme l’impression 3D ou les matériaux composites, elles réduisent les coûts tout en maintenant une haute technicité. Cette approche pourrait bouleverser le marché, traditionnellement dominé par des géants comme Dassault ou Rheinmetall.
Vers une Autonomie Européenne
L’un des enjeux majeurs de cette révolution low cost est de réduire la dépendance aux équipements américains. Actuellement, l’Europe achète deux tiers de ses armes aux États-Unis, notamment des avions de combat comme le F35. Pourtant, des alternatives européennes existent : le Rafale français, l’Eurofighter ou le Gripen suédois. Ces appareils, bien que coûteux, pourraient être produits plus localement si des usines étaient implantées dans d’autres pays européens, à l’image des stratégies américaines ou allemandes.
Le programme Edip (European Defence Industrial Programme) impose des règles strictes : 65 % du contenu industriel doit être européen pour bénéficier de subventions. Cette initiative vise à renforcer l’autonomie industrielle, mais elle nécessite une coordination accrue. Par exemple, la Direction générale de l’armement (DGA) française a déjà négocié des achats groupés de missiles Mistral pour neuf pays européens, un modèle à étendre.
Les Limites de la Mobilisation Civile
Certains proposent d’impliquer des industriels civils, comme les constructeurs automobiles, dans l’effort de guerre. Mais cette idée soulève des doutes. Fabriquer un véhicule blindé, même simple, exige des compétences spécifiques que l’industrie automobile ne possède pas nécessairement. Les armées refusent de compromettre la sécurité des soldats avec des équipements non validés.
En revanche, des secteurs civils pourraient contribuer à des éléments simples, comme les corps de bombes. Une autre piste consiste à créer des capacités industrielles dormantes, activables rapidement en cas de conflit. Ces usines, idéalement situées près des zones de combat, permettraient de produire des munitions à grande échelle et à moindre coût.
Un Équilibre à Trouver
Pour Jean-Pierre Maulny, l’avenir de l’industrie de défense européenne repose sur un équilibre subtil : acheter 60 % des équipements en Europe et 40 % à l’étranger, avec une part américaine réduite à 30 %. Cela nécessite des investissements massifs dans les capacités industrielles locales et une meilleure coordination entre les États. L’Allemagne, avec son plan de 500 milliards d’euros, pourrait jouer un rôle clé, à condition de privilégier les fournisseurs européens.
Les start-ups, avec leur agilité et leur créativité, pourraient être le moteur de cette transition. En combinant technologies avancées et approches low cost, elles ouvrent la voie à une industrie de défense plus réactive et autonome. Mais pour réussir, l’Europe doit adopter une vision politique commune, capable de fédérer ses membres autour d’un projet ambitieux.
Il faut arrêter d’acheter les F35 américains. Nous avons trois avions de combat européens !
– Jean-Pierre Maulny
Les Enjeux Géopolitiques
La dépendance aux États-Unis ne se limite pas aux équipements. Elle touche aussi les négociations de paix, où l’Europe peine à s’imposer face à la Russie. Une position commune franco-allemande, élargie à la Pologne et aux autres partenaires, pourrait changer la donne. Mais cela exige une vision claire de l’avenir sécuritaire du continent, encore absente aujourd’hui.
En parallèle, des pays comme le Danemark et la Suède montrent la voie en réduisant leurs achats américains au profit de solutions européennes. Ces initiatives, combinées à des start-ups innovantes et à une industrie plus agile, pourraient redessiner la carte de la défense européenne.
Conclusion : Une Révolution en Marche
L’industrie de l’armement est à un tournant. Le modèle low cost, porté par des start-ups comme Fly-R et soutenu par des politiques européennes ambitieuses, pourrait transformer la défense en un secteur plus rapide, plus accessible et plus autonome. Mais ce changement ne se fera pas sans défis : coordination, financement et vision politique seront essentiels pour relever le pari d’une Europe forte et indépendante.
Alors, l’Europe saura-t-elle saisir cette opportunité ? La réponse dépendra de sa capacité à innover, à collaborer et à investir dans des solutions qui allient technologie et pragmatisme. Une chose est sûre : la révolution low cost est déjà en marche, et elle pourrait bien redéfinir les champs de bataille de demain.