
Lubrizol Annule Son Plan Social : Une Victoire ?
En février 2025, une nouvelle secoue les sites industriels de Rouen et du Havre : Lubrizol, géant américain de la chimie, annonce un plan social menaçant 169 emplois. Trois mois plus tard, coup de théâtre : l’entreprise fait marche arrière, annulant ce projet de réorganisation. Cette décision, bien que célébrée par certains, soulève des questions sur l’avenir de l’industrie chimique en Normandie et sur les véritables motivations de ce revirement. Que s’est-il passé pour que Lubrizol change de cap aussi soudainement ?
Un Revirement Inattendu dans l’Industrie Chimique
Le 5 mai 2025, lors d’un comité social et économique (CSE) extraordinaire, Lubrizol France annonce l’annulation de son plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Ce projet, dévoilé en février, prévoyait la suppression de 145 postes à Rouen et 24 au Havre, soit près d’un quart des effectifs des deux sites. Après des négociations ardues, ce chiffre avait été ramené à 106 suppressions. Pourtant, en un revirement spectaculaire, l’entreprise décide de tout arrêter, invoquant un changement dans le contexte international des chaînes d’approvisionnement.
Ce soudain changement de stratégie a surpris les syndicats, les salariés et même les observateurs de l’industrie. Comment une entreprise qui justifiait son plan par une surcapacité de production et une baisse de 30 % de ses volumes peut-elle revenir sur une décision aussi structurante ? Pour comprendre, il faut plonger dans les coulisses de cette annonce et analyser les dynamiques à l’œuvre.
Pourquoi Lubrizol a-t-il Lancé un Plan Social ?
Lubrizol, spécialisé dans les additifs pour lubrifiants, opère dans un secteur en pleine mutation. En février 2025, l’entreprise met en avant des défis économiques majeurs : une baisse de la demande sur le marché européen et des lignes de production fonctionnant à seulement 65 % de leur capacité. Selon la direction, ces suppressions d’emplois devaient permettre de réduire les charges de 29 millions d’euros, un objectif jugé crucial pour rester compétitif face à la concurrence mondiale.
« Le projet initial de restructuration avait été décidé dans un contexte de nécessité de sauvegarde de la compétitivité. »
– Communiqué officiel de Lubrizol France, 5 mai 2025
Cette annonce intervient dans un contexte déjà tendu. Six ans après l’incendie dévastateur de l’usine de Rouen en 2019, qui avait libéré 9 500 tonnes de produits chimiques, Lubrizol reste sous le feu des critiques pour ses pratiques environnementales et sa gestion sociale. La décision de supprimer des emplois a donc immédiatement déclenché une vague de protestations, avec des grèves et des débrayages dès février 2025.
La Mobilisation des Salariés : Un Facteur Déterminant
Face à l’annonce du PSE, les syndicats (CGT, CFDT, CFE-CGC) n’ont pas tardé à réagir. Dès le 27 mars 2025, une grève illimitée est lancée, paralysant la production des sites normands. Pendant huit jours, les usines de Rouen et du Havre tournent au ralenti, impactant directement les opérations de Lubrizol. Cette mobilisation massive a-t-elle influencé la décision de l’entreprise ?
Selon Cédric Barreau, délégué syndical CFDT, la grève a joué un rôle clé :
« La grève a durement affecté le fonctionnement du groupe, s’ajoutant au contexte international. »
– Cédric Barreau, délégué syndical CFDT
Les syndicats ont également pointé du doigt le manque de clarté du plan initial. Les questions sur la répartition des charges de travail et la création de nouveaux postes n’avaient pas reçu de réponses satisfaisantes, renforçant la détermination des salariés à se battre.
Un Contexte International en Évolution
Lubrizol justifie son revirement par une évolution des chaînes d’approvisionnement. Les pressions sur les coûts des matières premières et leur disponibilité auraient conduit l’entreprise à revoir ses priorités. Mais cette explication reste floue pour beaucoup. Les syndicats, comme Thierry Bazire (CGT), déplorent un manque de transparence :
« Ils tournent autour du pot, ils ne sont pas clairs. »
– Thierry Bazire, délégué syndical CGT
Certains observateurs suggèrent que des facteurs externes, comme les incertitudes géopolitiques ou les fluctuations des marchés, ont pu pousser Lubrizol à sécuriser ses sites normands pour garantir l’approvisionnement de ses clients. Cette hypothèse est renforcée par la volonté affichée de l’entreprise de « retrouver un environnement de travail productif ».
Une Victoire en Demi-Teinte pour les Salariés
Si l’annulation du PSE est une bonne nouvelle pour les 106 salariés concernés, elle ne fait pas l’unanimité. Beaucoup s’étaient déjà projetés vers d’autres opportunités, certains envisageant une reconversion ou une retraite anticipée. L’annonce brutale de février, suivie de ce revirement tout aussi soudain, a semé le trouble et érodé la confiance envers la direction.
Francis Malandain, délégué CFE-CGC, résume ce sentiment :
« C’est une nouvelle en demi-teinte, car la direction refuse de s’engager sur l’absence de PSE pour les trois années à venir. »
– Francis Malandain, délégué CFE-CGC
Ce manque d’engagement laisse planer l’hypothèse d’un futur plan social. Les problématiques de surcapacité et de compétitivité restent d’actualité, comme le reconnaît Nicolas Adam, directeur général de Lubrizol France. Les salariés, eux, oscillent entre soulagement et méfiance.
Les Enjeux de l’Industrie Chimique en Normandie
Lubrizol n’est pas un cas isolé. L’industrie chimique en Europe fait face à des défis structurels : hausse des coûts énergétiques, concurrence internationale accrue et transition vers des pratiques plus durables. En Normandie, les sites de Rouen et du Havre sont stratégiques pour Lubrizol, mais leur avenir dépend de la capacité de l’entreprise à s’adapter à ces mutations.
Voici les principaux enjeux auxquels Lubrizol doit faire face :
- Gestion de la surcapacité de production sans recourir à des licenciements massifs.
- Adaptation aux pressions sur les matières premières et aux fluctuations des coûts.
- Investissement dans des technologies durables pour répondre aux attentes environnementales.
- Rétablissement de la confiance des salariés pour maintenir un climat social stable.
La décision d’annuler le PSE pourrait être un premier pas vers une stratégie plus durable, mais elle ne résout pas ces défis fondamentaux.
Un Signal pour l’Industrie ?
Le cas de Lubrizol soulève une question plus large : cette annulation peut-elle inspirer d’autres industriels à repenser leurs stratégies de restructuration ? Dans un contexte économique incertain, où les fermetures d’usines et les plans sociaux se multiplient, ce revirement est une rare lueur d’espoir. Mais il ne doit pas masquer les difficultés persistantes du secteur.
Pour Lubrizol, l’avenir repose sur sa capacité à innover et à s’adapter. Des investissements dans la recherche et développement, notamment pour des additifs plus écologiques, pourraient renforcer sa position sur le marché européen. De plus, une communication transparente avec les salariés et les syndicats sera essentielle pour éviter de nouveaux conflits.
Un Passé Qui Pèse Lourd
Le revirement de Lubrizol ne peut être dissocié de son histoire récente. L’incendie de 2019 à Rouen reste dans toutes les mémoires, avec ses conséquences environnementales et sociales. Depuis, l’entreprise est sous pression pour améliorer ses pratiques, comme en témoigne l’arrêté préfectoral du 5 mai 2025, exigeant la mise en conformité de ses installations électriques à risque d’explosion.
Cet événement a renforcé la méfiance des salariés et des riverains. L’annulation du PSE, bien que positive, ne suffit pas à restaurer une confiance ébranlée par des années de controverses.
Vers un Avenir Plus Stable ?
Lubrizol se trouve à un tournant. L’annulation du plan social offre une opportunité de repenser son modèle, tant sur le plan économique que social. Mais pour que cette décision soit plus qu’un simple sursis, l’entreprise devra investir dans des solutions durables et redonner confiance à ses équipes.
Voici un résumé des actions possibles pour Lubrizol :
- Investir dans des technologies vertes pour répondre aux exigences environnementales.
- Renforcer le dialogue social avec des engagements clairs sur l’emploi.
- Optimiser les chaînes d’approvisionnement pour réduire les coûts sans licenciements.
En conclusion, l’annulation du plan social de Lubrizol est une victoire pour les salariés, mais elle soulève autant de questions qu’elle n’apporte de réponses. L’industrie chimique, en Normandie comme ailleurs, doit relever des défis complexes pour concilier compétitivité et responsabilité sociale. Lubrizol saura-t-il transformer cette crise en opportunité ? L’avenir nous le dira.