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L’UE abandonne des réglementations clés sur l’IA et la vie privée
C'est un véritable coup de balai réglementaire auquel se livre actuellement la Commission européenne. Lors de la présentation de son programme de travail pour 2025, l'exécutif bruxellois a annoncé le retrait de pas moins de 37 propositions de lois qui étaient en cours de négociation. Parmi elles, trois textes majeurs devant encadrer les technologies numériques : une directive sur la responsabilité liée à l'intelligence artificielle, un règlement sur les brevets essentiels et la très attendue réforme "ePrivacy" sur la confidentialité des communications électroniques.
Officiellement, la Commission justifie ce grand ménage législatif par un souci de simplification et d'efficacité. Selon Maros Sefcovic, commissaire en charge des relations interinstitutionnelles, il s'agissait de textes « en attente de décision du Parlement et du Conseil » et sur lesquels « de nouveaux progrès sont peu probables ». Une manière élégante de reconnaître l'impasse dans laquelle se trouvaient ces projets face aux réticences du Parlement et du Conseil, les deux co-législateurs de l'UE.
Le recul de trop pour les consommateurs
Mais pour les associations de défense des consommateurs, il s'agit ni plus ni moins d'un cadeau fait aux géants de la tech. « La Commission européenne ne doit pas écouter uniquement les intérêts de l'industrie. Elle doit faire de la protection des consommateurs une priorité », a vivement réagi Agustín Reyna, président du Bureau Européen des Unions de Consommateurs (BEUC). Ce dernier pointe notamment du doigt l'abandon de la directive sur la responsabilité en matière d'IA, qui devait permettre aux citoyens d'être indemnisés en cas de dommage causé par une intelligence artificielle défaillante.
Même son de cloche du côté de la réforme ePrivacy, très attendue pour renforcer la confidentialité des utilisateurs de services comme WhatsApp ou Skype, au même niveau que les opérateurs télécoms. Son retrait est vécu comme une véritable douche froide par les défenseurs de la vie privée.
Axel Voss dénonce "une approche Far West"
Au sein même du Parlement européen, ce revirement réglementaire passe mal. Axel Voss, eurodéputé allemand (PPE) et rapporteur sur le projet de loi sur la responsabilité en IA, a condamné le choix de la Commission, estimant que celle-ci avait opté pour "l'insécurité juridique" et "une approche digne du Far West qui ne profite qu'aux grandes entreprises technologiques".
La Commission européenne ne doit pas écouter uniquement les intérêts de l'industrie. Elle doit faire de la protection des consommateurs une priorité.
Agustín Reyna, président du BEUC
Pression des lobbys et concurrence internationale
Comment expliquer ce soudain retournement de veste de la Commission ? Pour beaucoup d'observateurs, Bruxelles a fini par céder aux pressions des lobbys de l'industrie technologique, vent debout contre ce qu'ils considéraient comme des réglementations trop contraignantes. La puissante CCIA, qui défend les intérêts des GAFAM, a d'ailleurs salué cette "prise de conscience" et ce recentrage sur "l'essentiel".
La décision de la Commission doit aussi se lire à l'aune du contexte géopolitique et de la compétition internationale. Quelques jours avant l'annonce de Bruxelles, le vice-président américain avait mis en garde les Européens contre une régulation excessive du secteur de l'IA lors d'un sommet à Paris. Un avertissement que la Commission semble avoir entendu, préférant abandonner certains pans jugés trop restrictifs plutôt que de prendre le risque de voir les champions numériques lui échapper.
Des garde-fous sacrifiés sur l'autel de la compétitivité ?
Au final, cette volte-face sur des textes emblématiques comme la responsabilité en IA ou ePrivacy questionne sur les priorités réelles de la Commission. Derrière la rhétorique de la simplification, c'est bien la logique de compétitivité économique qui semble primer, quitte à sacrifier certains garde-fous jugés essentiels pour les citoyens et les consommateurs.
Faut-il y voir un prélude au démantèlement du modèle européen de régulation, fondée sur le primat de la protection des individus ? L'avenir le dira, mais ce premier acte n'augure rien de bon pour ceux qui voyaient dans l'UE un rempart face aux dérives de la technologie. La vigilance reste plus que jamais de mise.