
McPhy : Échec d’Une Gigafactory à Belfort
L’hydrogène vert, souvent présenté comme la clé d’une transition énergétique réussie, promet de révolutionner l’industrie et les transports. Pourtant, en avril 2025, une nouvelle secoue le secteur : McPhy, acteur français emblématique, met en vente sa gigafactory de Belfort, inaugurée à peine un an plus tôt. Comment une entreprise soutenue par 114 millions d’euros de subventions publiques a-t-elle pu échouer si vite ? Cet article plonge dans les coulisses de cet échec retentissant, explore les défis de l’hydrogène vert et interroge l’avenir de cette filière stratégique en France.
Un Pari Ambitieux pour l’Hydrogène Vert
En juin 2024, McPhy Energy inaugurait en grande pompe sa gigafactory sur l’Aéroparc de Fontaine, près de Belfort. L’objectif était clair : produire des électrolyseurs de grande puissance, capables de générer de l’hydrogène vert à partir d’eau et d’électricité renouvelable. Avec une capacité prévue de 1 gigawatt par an, l’usine devait positionner la France comme leader européen de cette technologie. Mais derrière les discours optimistes, des obstacles majeurs se dressaient.
Les Promesses d’une Usine Nouvelle Génération
Conçue pour répondre aux besoins industriels émergents, la gigafactory de McPhy visait à produire des électrolyseurs de 16 MW, une puissance bien supérieure aux modèles standards de 500 kW à 1 MW. Cette ambition s’inscrivait dans la stratégie hydrogène française, qui vise 6 GW de capacité d’électrolyse d’ici 2030. Soutenue par une subvention de 114 millions d’euros dans le cadre du programme européen PIIEC, l’usine incarnait l’espoir d’une relocalisation industrielle et d’une décarbonation massive.
« La gigafactory de Belfort est un pilier pour structurer la filière hydrogène en Europe. »
– Jean-Baptiste Lucas, ex-PDG de McPhy, lors de l’inauguration en 2024
Cependant, les ambitions techniques se sont heurtées à des réalités complexes. Passer de petits électrolyseurs à des modèles de 16 MW nécessitait des avancées technologiques majeures, que McPhy n’a pas su concrétiser à temps.
Un Marché de l’Hydrogène encore Balbutiant
Le marché de l’hydrogène vert, bien que prometteur, reste immature. Les projets industriels à grande échelle, comme ceux des secteurs de la métallurgie ou des raffineries, peinent à obtenir des financements. En Europe, les leaders comme Siemens, Plug, ou Nel dominent déjà, tandis que les acteurs chinois proposent des solutions à bas coût. McPhy, malgré ses efforts, n’a pas réussi à se démarquer dans cette concurrence féroce.
En 2024, McPhy a enregistré un chiffre d’affaires de 13,2 millions d’euros, en baisse de 30 % par rapport à 2023, et une perte nette de 74,1 millions d’euros. Ces chiffres traduisent un marché qui, selon les analystes, « ne décolle pas comme prévu ». Les commandes, souvent limitées à des électrolyseurs de faible puissance fabriqués en Italie, n’ont pas suffi à rentabiliser l’investissement colossal de Belfort.
Les Erreurs Stratégiques de McPhy
McPhy a fait des choix risqués qui ont précipité sa chute. En 2023, l’entreprise cède son activité de stations de recharge hydrogène à Atawey pour se concentrer sur les électrolyseurs. Mais cette décision s’est retournée contre elle : Atawey, également en difficulté, n’a pas honoré ses paiements, aggravant les problèmes de tréso de McPhy.
De plus, l’entreprise a sous-estimé la complexité d’industrialiser une nouvelle génération d’électrolyseurs. En janvier 2025, l’usine de Belfort restait presque vide, la ligne d’assemblage n’étant prévue que pour l’été. Ce retard a sapé la confiance des investisseurs et des clients potentiels.
- Cession problématique de l’activité stations à Atawey.
- Retards dans l’installation de la ligne d’assemblage.
- Concurrence accrue des acteurs étrangers.
Une Crise de Gouvernance
La démission de Jean-Baptiste Lucas, PDG de McPhy, en avril 2025, a marqué un tournant. Officiellement motivée par des « raisons personnelles », elle intervient dans un contexte de tensions internes et de résultats décevants. Cette instabilité a renforcé l’image d’une entreprise en perte de contrôle, incapable de tenir ses promesses.
Le 10 avril 2025, le tribunal de commerce de Belfort ouvre une procédure de conciliation, signe d’une situation financière critique. McPhy annonce que sa trésorerie ne tiendra pas au-delà de juin 2025 sans repreneur ou nouveaux fonds. Une procédure d’appel d’offres est lancée, avec une date limite fixée au 9 mai.
Les Leçons d’un Échec
L’échec de McPhy à Belfort soulève des questions cruciales sur la stratégie française en matière d’hydrogène. Les subventions publiques, bien que généreuses, ne suffisent pas sans un marché mature et une vision industrielle cohérente. Voici les principaux enseignements :
- Technologie immature : Les électrolyseurs de grande puissance restent complexes à produire à grande échelle.
- Concurrence mondiale : Les acteurs chinois et européens dominent, rendant la compétition difficile pour les nouveaux entrants.
- Stratégie publique : Les aides doivent s’accompagner d’une demande industrielle claire.
Pourtant, tout n’est pas perdu. Des acteurs comme Gen-Hy, qui a obtenu 99,84 millions d’euros pour sa gigafactory à Allenjoie, et Genvia, avec son usine à Béziers, montrent que la filière hydrogène française peut encore rebondir.
L’Avenir de l’Hydrogène en France
Si McPhy disparaît ou est racheté, la France risque de perdre un pionnier de l’hydrogène vert. Cependant, des opportunités subsistent. Le belge John Cockerill, déjà implanté dans le Haut-Rhin, pourrait reprendre tout ou partie des activités de McPhy. De plus, la demande pour l’hydrogène vert devrait croître à mesure que les projets industriels se concrétisent.
« L’hydrogène vert est un marathon, pas un sprint. Les échecs d’aujourd’hui préparent les succès de demain. »
– Analyste du secteur énergétique, 2025
Pour réussir, la France devra investir dans la R&D, simplifier les financements des projets industriels et encourager les partenariats entre startups et grands groupes. L’exemple de McPhy montre que l’innovation, aussi prometteuse soit-elle, exige patience et pragmatisme.
Un Tableau Contrasté
Pour mieux comprendre les forces et faiblesses de la filière hydrogène en France, voici un résumé :
Aspect | Situation | Perspectives |
---|---|---|
Technologie | Retards dans les électrolyseurs de grande puissance | Investissements en R&D nécessaires |
Marché | Demande industrielle encore faible | Croissance prévue d’ici 2030 |
Concurrence | Domination des acteurs étrangers | Partenariats stratégiques à développer |
Ce tableau illustre les défis, mais aussi les opportunités pour une filière encore jeune.
Une Réflexion pour l’Industrie Verte
L’histoire de McPhy à Belfort est un avertissement pour les acteurs de la green tech. L’innovation, si elle est essentielle, ne garantit pas le succès sans une exécution rigoureuse et un marché prêt à absorber l’offre. Les subventions publiques, bien qu’indispensables, doivent être assorties d’une stratégie globale pour stimuler la demande et accompagner les entreprises dans leur montée en échelle.
En parallèle, cet échec met en lumière l’importance de la résilience. D’autres entreprises, comme Gen-Hy ou Genvia, pourraient tirer parti des erreurs de McPhy pour bâtir des modèles plus durables. L’hydrogène vert reste une priorité pour la décarbonation, et la France a les atouts pour jouer un rôle majeur dans ce secteur.
Et Maintenant ?
Alors que McPhy attend un repreneur, l’avenir de la gigafactory de Belfort reste incertain. Sera-t-elle reprise par un acteur comme John Cockerill, ou restera-t-elle un symbole d’un rêve industriel brisé ? Une chose est sûre : l’hydrogène vert, malgré ses défis, continuera d’alimenter les espoirs d’une économie décarbonée.
Cet échec, bien que douloureux, pourrait devenir une étape vers une filière hydrogène plus robuste. En apprenant de ses erreurs, la France peut transformer ce revers en une opportunité pour repenser sa stratégie et accélérer la transition énergétique. L’hydrogène vert n’est pas mort à Belfort ; il attend simplement son prochain champion.