Morgan Neville prend ses distances avec l’IA générative après Roadrunner
Le monde du cinéma documentaire a été secoué en 2021 lorsque le réalisateur Morgan Neville a révélé avoir utilisé l'intelligence artificielle générative pour recréer la voix du célèbre chef Anthony Bourdain, décédé en 2018, dans son film Roadrunner. Si Neville pensait ainsi rendre hommage à Bourdain de façon innovante, beaucoup y ont vu une instrumentalisation problématique de la technologie. Une polémique qui a poussé le cinéaste à complètement revoir son approche de l'IA.
Roadrunner : l'étincelle d'une controverse
Sorti en 2021, le documentaire Roadrunner: A Film About Anthony Bourdain retrace la vie du chef globe-trotter à travers des images d'archives et des interviews. Mais ce qui a surtout retenu l'attention, c'est l'utilisation par Morgan Neville d'une intelligence artificielle pour faire "parler" Bourdain en générant artificiellement sa voix. Le réalisateur a expliqué au magazine Wired :
Je voyais ça comme un moyen amusant de garder la voix d'Anthony dans le film.
– Morgan Neville
Seulement voilà, même si la voix synthétique ne prononçait que des mots réellement écrits par Bourdain, beaucoup de spectateurs ont cru que le documentaire lui faisait dire n'importe quoi. Une incompréhension qui a ulcéré une partie du public et suscité un vif débat sur l'éthique de ces technologies.
Un précédent qui fait école
La polémique Roadrunner a eu un effet boule de neige. Neville raconte que de nombreux documentaristes lui ont confié revoir leurs projets impliquant de l'IA :
Beaucoup m'ont dit qu'ils modifiaient ce qu'ils faisaient ou ajoutaient d'énormes avertissements.
– Morgan Neville
Un électrochoc pour toute une profession qui réalise que l'IA peut soulever de sérieuses questions éthiques si son usage n'est pas mûrement réfléchi et encadré.
Neville jure qu'on ne l'y reprendra plus
Échaudé par l'expérience Roadrunner, Morgan Neville a depuis pris le parti d'éviter soigneusement l'utilisation d'intelligence artificielle dans ses films. Il l'affirme :
Depuis, j'ai assidûment évité d'utiliser l'IA.
– Morgan Neville
Une résolution mise en pratique dès son nouveau projet, Piece by Piece, un documentaire qui retrace la vie de Pharrell Williams… en Lego ! Neville y fait parler le célèbre astrophysicien Carl Sagan, décédé en 1996. Mais pas question ici d'IA :
J'ai été très clair avec tout le monde sur le fait que nous allions, avec la permission de sa veuve, lui faire dire "Pharrell" sans utiliser l'IA. Nous avons fait des essais pour construire le mot à partir de syllabes qu'il avait réellement prononcées.
– Morgan Neville
Reste à voir si ce retour aux sources des documentaristes, qu'incarne Morgan Neville, est une tendance durable ou si l'appel de l'IA générative sera trop fort. Une chose est sûre, les créateurs semblent désormais pleinement conscients des défis éthiques que ces technologies soulèvent, notamment lorsqu'il s'agit de "faire parler" des personnes décédées. Et c'est sans doute déjà un grand pas en avant.