Novasco : Reprise Partielle et 550 Licenciements
Imaginez : vous travaillez depuis vingt ou trente ans dans la même aciérie, votre père et votre grand-père y ont passé leur vie avant vous, et un lundi de novembre, un juge à Strasbourg décide en quelques minutes que votre usine va fermer avant Noël. C’est exactement ce qui vient d’arriver à 550 salariés de Novasco, l’ex-Ascometal. Un épilogue brutal pour un feuilleton industriel qui dure depuis plus de dix ans.
Un seul survivant sur quatre sites
Le 17 novembre 2025, le tribunal judiciaire de Strasbourg a rendu son verdict : l’offre portée par le consortium derrière Métal Blanc est retenue. Mais attention, il ne s’agit pas d’une reprise globale. Seul le site des Dunes à Leffrinckoucke (près de Dunkerque) est sauvé, avec 144 emplois conservés sur 166. Les trois autres usines – la grande aciérie électrique d’Hagondange (420 salariés), Custines (57) et Saint-Etienne (38) – sont condamnées à fermer.
En clair : plus de 550 licenciements secs d’ici la fin de l’année, sans compter les intérimaires et sous-traitants. Un carnage social dans une filière déjà exsangue.
Europlasma, l’offre ambitieuse qui a fait peur
Sur le papier, le projet d’Europlasma avait pourtant de quoi séduire : reprise de trois sites, diversification vers la défense (obus, munitions), partenariat avec le suédois Ovako et même un data center sur le terrain d’Hagondange. Mais dans les faits, le dossier a été jugé trop risqué.
« Il y a de grosses interrogations sur les modalités de financement, leur projet est très risqué »
– Yann Amadoro, délégué syndical CGT Hagondange
Les points noirs étaient nombreux :
- Financement par obligations convertibles ultra-dilutives auprès d’un fonds des îles Caïmans
- Facture d’un million d’euros impayée… à Novasco lui-même
- Doutes sur la Fonderie de Bretagne, reprise six mois plus tôt et déjà en difficulté
- Quatre redressements judiciaires en 11 ans pour les salariés : ras-le-bol total
Même les CSE de Custines et Saint-Etienne, pourtant concernés par l’offre Europlasma, ont fini par se ranger derrière Métal Blanc, jugé plus crédible.
Métal Blanc : petit poucet, grande prudence
Le consortium vainqueur est mené par Julien Baillon, 44 ans, ingénieur chimiste passé par le groupe Aurea. Il avait déjà repris en 2024 Métal Blanc, spécialisé dans le recyclage de batteries plomb et d’étain. Un profil d’entrepreneur de l’économie circulaire, discret, qui mise sur la solidité plutôt que sur les effets d’annonce.
Le plan pour Leffrinckoucke est simple :
- 3 millions d’euros de fonds propres
- 11 millions de prêt FDES de l’État
- Récupérer les clients historiques partis chez la concurrence
- À moyen terme, se positionner sur la défense (aciers pour obus)
Le laminoir tout neuf (10 M€ investis cet été) et le parc de traitement thermique font du site des Dunes une pépite dans les aciers spéciaux de moyen diamètre pour le nucléaire, l’offshore ou l’éolien. De quoi voir l’avenir avec un peu plus de sérénité… pour 144 personnes seulement.
Greybull, le fantôme britannique
Impossible de parler de Novasco sans évoquer le fiasco Greybull. Le fonds britannique avait repris Ascometal il y a moins d’un an avec des promesses mirobolantes… et n’a investi que 1,5 million d’euros sur les 90 promis. L’État, lui, a mis 90 millions à fonds perdu. Résultat : le ministre Sébastien Martin annonce vouloir poursuivre Greybull en justice.
Une commission de suivi avec l’État et les salariés sera mise en place pour éviter que l’histoire ne se répète avec Métal Blanc.
Et maintenant ?
Pour Hagondange, l’espoir est quasi nul. L’aciérie électrique, l’une des dernières en France, risque de devenir un terrain vague. Les syndicats parlent encore d’une nationalisation partielle, mais personne n’y croit vraiment.
Pour Custines et Saint-Etienne, une reprise à la barre reste théoriquement possible. Mais le marché automobile, leur clientèle principale, est en pleine crise.
Ce dossier Novasco est le énième épisode d’une sidérurgie française qui s’effrite année après année : ArcelorMittal ferme des hauts-fourneaux, Erasteel supprime 190 postes à Commentry, Ferroglobe arrête le silicium… La liste est longue.
Un symbole de la désindustrialisation
Derrière les chiffres, il y a des vies brisées. Des familles entières qui avaient fait de l’acier leur identité. Des savoir-faire uniques qui disparaissent. Et une question lancinante : comment a-t-on pu laisser une filière stratégique partir à la dérive comme ça ?
La transition vers l’acier vert, les fours électriques, le recyclage : tout le monde en parle. Mais quand il s’agit de sauver les dernières usines capables de le produire, on préfère la solution minimaliste. 144 emplois sauvés, 550 sacrifiés.
Leffrinckoucke continuera à faire tourner ses fours. Hagondange, Custines et Saint-Etienne s’éteindront probablement pour toujours. Et la France perdra un peu plus de sa souveraineté industrielle un lundi gris de novembre 2025.
Triste fin pour une saga commencée il y a plus d’un siècle dans les bassins lorrains et stéphanois.