Ottawa Lance un Chatbot IA pour 10 Millions de Pages
Imaginez : il est vendredi après-midi à Ottawa. Un fonctionnaire décide de s’amuser un peu. Quelques heures plus tard, il a créé un assistant capable de répondre à n’importe quelle question en fouillant instantanément parmi plus de dix millions de pages web du gouvernement canadien. Ce n’est pas le pitch d’une startup de la Silicon Valley. C’est un projet bien réel du Service numérique du Canada.
Quand le gouvernement fédéral se met à coder comme une startup
On a l’habitude de voir les administrations publiques avancer à pas de tortue, surtout quand il s’agit d’intelligence artificielle. Pourtant, au Canadian Digital Service (CDS), on fonctionne parfois comme dans une jeune pousse. Michael Karlin, directeur par intérim des politiques, l’a confirmé lors du Responsible AI Summit d’Ottawa fin novembre 2025 : leur nouveau prototype d’assistant web a été bâti en un seul après-midi par une seule personne.
Le défi est colossal. Le site Canada.ca et l’ensemble des portails fédéraux représentent plus de 10 millions de pages, mises à jour en permanence, dans les deux langues officielles. Trouver une information précise (allocation, passeport, impôts, immigration…) relève souvent du parcours du combattant.
« Avec un système classique de type RAG, il faudrait une équipe entière pour nettoyer et mettre à jour constamment les données. C’est ingérable à cette échelle. »
– Michael Karlin, Canadian Digital Service
Des agents autonomes plutôt qu’une base de connaissances figée
La solution retenue est audacieuse : au lieu d’indexer toutes les pages dans une base vectorielle (la méthode RAG classique utilisée par Cohere ou Mistral), l’équipe a opté pour une architecture d’agents IA. Ces agents « reniflent » automatiquement les nouveaux sites, détectent les modifications et naviguent en temps réel.
Concrètement, quand vous posez une question, l’agent part explorer les sites pertinents, lit les pages, extrait l’information à jour et vous répond. Pas besoin de ré-entraîner le modèle toutes les semaines.
Cette approche présente plusieurs avantages majeurs :
- Toujours à jour, même si une page change le matin même
- Pas de coût astronomique de stockage vectoriel pour 10 millions de pages
- Moins de risque d’hallucination grâce à la consultation directe des sources
- Possibilité d’ajouter facilement de nouveaux ministères ou organismes
Pourquoi GPT-4 et pas Cohere mis sur le banc pour l’instant ?
La question brûlante que tout le monde se pose : le Canada a pourtant signé un accord cadre avec la licorne canadienne Cohere pour l’utilisation de ses modèles dans l’administration. Alors pourquoi utiliser OpenAI ?
La réponse est technique et pragmatique. Les modèles de Cohere sont excellents en RAG, mais l’approche agentique choisie par le CDS est encore immature chez la plupart des fournisseurs canadiens. GPT-4 (et surtout GPT-4o) propose aujourd’hui les capacités d’« agent » les plus avancées du marché.
Michael Karlin reste prudent : « Rien n’est décidé. Cohere pourrait très bien intégrer la chaîne à l’avenir, notamment pour la génération finale de réponse ou pour des tâches spécifiques. » Traduction : on teste d’abord ce qui marche le mieux, on avisera ensuite.
La prudence avant tout : sécurité, équité et transparence
Lancer un chatbot public avec un modèle américain sur des données potentiellement sensibles n’est pas anodin. Le CDS applique donc un cadre extrêmement strict :
- Aucune donnée personnelle n’est envoyée à OpenAI
- Les requêtes sont anonymisées
- Chaque réponse cite systématiquement ses sources cliquables
- Un comité d’éthique interne valide chaque évolution
- Tests en continu sur les biais linguistiques (français/anglais) et régionaux
Le projet reste en phase de prototype. Aucun déploiement grand public n’est prévu avant 2026 au plus tôt, le temps de passer tous les audits de sécurité et d’accessibilité.
Et si le Canada montrait l’exemple au monde ?
Ce qui frappe dans cette initiative, c’est son côté presque insolent d’agilité. Pendant que certains pays interdisent purement et simplement ChatGPT dans l’administration, le Canada choisit la voie du test rapide, de l’itération et de la transparence.
Si le prototype tient ses promesses, il pourrait devenir le premier assistant gouvernemental véritablement omniscient au monde, capable de répondre en quelques secondes à des questions aussi diverses que « Comment renouveler mon passeport depuis l’étranger ? » ou « Quelles sont les subventions pour les panneaux solaires au Nouveau-Brunswick ? ».
Un modèle qui pourrait ensuite être répliqué par les provinces, les municipalités… et pourquoi pas exporté à d’autres pays.
Vers une administration augmentée plutôt que remplacée
Attention, personne au CDS ne parle de remplacer les fonctionnaires. L’objectif est clair : libérer du temps pour les agents humains qui pourront se concentrer sur les cas complexes, les situations d’urgence ou les citoyens qui préfèrent le contact humain.
L’IA devient alors un coéquipier invisible, un peu coûteux et infatigable, qui traite 80 % des demandes courantes avec une précision jamais atteinte.
On est loin des chatbots rigides des années 2010 qui vous faisaient tourner en rond avec des réponses toutes faites.
Ce qu’il faut retenir
Le gouvernement canadien, souvent perçu comme lent et bureaucratique, vient peut-être de poser les bases d’une petite révolution silencieuse. Un projet né d’une impulsion créative un vendredi après-midi pourrait transformer la relation entre les citoyens et leur administration.
Et le plus beau dans tout ça ? Il a été conçu avec la prudence éthique chevillée au corps, sans jamais sacrifier l’ambition technique.
À suivre de très près en 2026. Si ça marche, le Canada pourrait bien devenir une référence mondiale en matière d’IA au service du public.