Paragon Solutions : le logiciel espion prisé par les gouvernements
Le mastodonte israélien de la surveillance Paragon Solutions fait à nouveau parler de lui. La firme a confirmé que son puissant logiciel espion est utilisé non seulement par le gouvernement américain, mais aussi par d'autres pays alliés non spécifiés. Cette révélation soulève de nombreuses questions sur l'ampleur et l'éthique de la surveillance gouvernementale à l'ère numérique.
Paragon Solutions, un acteur majeur de la surveillance
Fondée en Israël, Paragon Solutions s'est imposée comme l'un des principaux fournisseurs mondiaux de technologies de surveillance. Son logiciel espion, vendu uniquement aux gouvernements, offre des capacités de surveillance très avancées. Il peut notamment pénétrer les smartphones pour accéder à une multitude de données sensibles : messages, photos, localisation, etc.
L'entreprise avait déjà fait les gros titres l'an dernier lorsque le média Wired avait révélé un contrat de 2 millions de dollars entre sa filiale américaine et l'agence fédérale ICE (Immigration and Customs Enforcement). Mais l'ampleur de sa clientèle gouvernementale restait jusqu'ici secrète.
Contrats avec les USA et d'"autres démocraties globales"
John Fleming, président exécutif de Paragon Solutions, a finalement levé le voile sur les clients de la firme. Dans une déclaration à TechCrunch, il a confirmé que Paragon "accorde des licences de sa technologie à un groupe restreint de démocraties mondiales - principalement les États-Unis et ses alliés".
Fleming souligne que les clients doivent s'engager à ne pas cibler illégalement des journalistes et d'autres membres de la société civile, sous peine de rupture de contrat. Mais il n'a pas précisé quels pays étaient considérés comme "alliés" ni donné plus de détails sur les garde-fous en place.
Des journalistes et activistes ciblés malgré tout ?
Ces déclarations interviennent quelques jours après des accusations troublantes de WhatsApp (propriété de Meta). Selon la messagerie chiffrée, le logiciel de Paragon aurait été utilisé pour cibler environ 90 journalistes et activistes dans le monde.
Parmi les cibles présumées figurent le journaliste italien Francesco Cancellato, directeur du site d'actualités Fanpage.it qui avait enquêté sur l'extrême droite italienne, et Husam El Gomati, un activiste libyen basé en Suède qui avait critiqué la coopération italo-libyenne contre l'immigration.
"Je me sens violé", a confié Cancellato à TechCrunch. "Vous vous demandez, pourquoi moi ? Je veux dire, qu'est-ce qu'ils voulaient de moi ?"
Le gouvernement italien, qui serait client de Paragon selon des médias israéliens, n'a pas souhaité commenter. WhatsApp a envoyé une mise en demeure à Paragon, restée sans réponse pour l'instant.
Un secteur florissant mais opaque
Le marché des logiciels espions gouvernementaux est en plein essor, porté par la demande des services de renseignement et de police du monde entier. Paragon Solutions n'est que l'un des nombreux acteurs d'une industrie largement basée en Israël, aux côtés de NSO Group, Candiru ou Quadream.
Malgré un chiffre d'affaires en centaines de millions de dollars, ce secteur reste très opaque. Les entreprises communiquent peu, les contrats sont secrets et le cadre légal est flou. Cette situation soulève de vives inquiétudes chez les défenseurs des droits numériques.
Qui surveille les surveillants ?
Les dernières révélations sur Paragon Solutions remettent en lumière l'épineuse question du contrôle démocratique sur les outils de surveillance gouvernementale. Même au sein des démocraties, les dérives semblent difficiles à prévenir.
Pour de nombreux experts, il est urgent de renforcer la transparence et la réglementation de ce secteur stratégique mais sulfureux. Sans quoi le risque est grand de voir les technologies de surveillance saper les fondements mêmes de nos démocraties : libertés individuelles, vie privée, liberté de la presse, droit de dissidence...
"La surveillance de masse érode la confiance nécessaire à des sociétés démocratiques saines", avertit la juriste Sarah McKune. "Il est temps que nos élus prennent la mesure de cette menace".
L'affaire Paragon Solutions pose une fois de plus la question : dans un monde hyperconnecté, qui surveille les surveillants ? La réponse déterminera en grande partie si les formidables technologies de notre époque serviront à libérer les citoyens ou à les contrôler.