
Pourquoi l’Achat Public Étouffe l’Innovation au Canada
Imaginez une startup canadienne qui développe une technologie révolutionnaire pour sauver des vies, mais qui se heurte à un mur invisible : celui de l’achat public. Ce scénario, bien trop fréquent, freine l’innovation dans le secteur de la santé au Canada. Lors d’une récente discussion organisée par le Conseil des Innovateurs Canadiens (CCI), des leaders du healthtech ont pointé du doigt un système d’approvisionnement public opaque, rigide et peu enclin à prendre des risques. Alors, comment un pays reconnu pour son dynamisme technologique peut-il laisser ses propres startups s’essouffler ? Cet article explore les obstacles majeurs auxquels font face les entreprises comme AlayaCare et Mimosa Diagnostics, tout en proposant des pistes concrètes pour libérer le potentiel d’innovation canadien.
Un Système d'Achat Public qui Étouffe l'Innovation
Le secteur de la santé au Canada, bien qu’essentiel, repose sur un système d’achat public fragmenté et complexe. Chaque province gère son propre système de santé, ce qui entraîne une mosaïque de processus d’approvisionnement, souvent confiés à des organisations tierces. Ces structures, censées optimiser les achats pour les hôpitaux et les établissements de soins, favorisent trop souvent les solutions à bas coût au détriment de l’innovation. Résultat ? Les startups, pourtant porteuses de technologies disruptives, peinent à pénétrer ce marché.
Une Opacité qui Décourage les Jeunes Entreprises
L’un des principaux freins mis en lumière par les dirigeants d’AlayaCare et de Mimosa Diagnostics est le manque de transparence dans les processus d’achat public. Les exigences, comme les certifications nécessaires, ne sont souvent révélées qu’au dernier moment, après des mois d’efforts et d’investissements. Cette opacité oblige les startups à naviguer à l’aveugle, gaspillant des ressources précieuses.
Nous ne comprenons pas les obstacles avant qu’ils ne surgissent soudainement.
– Dr. Karen Cross, PDG de Mimosa Diagnostics
Pour une jeune entreprise, chaque dollar compte. Lorsqu’une autorité sanitaire impose une certification cybersécurité inattendue, cela peut représenter des dizaines de milliers de dollars à débourser, un luxe que seules les grandes multinationales peuvent se permettre. Ce manque de clarté pousse de nombreuses startups à se tourner vers des marchés étrangers, comme les États-Unis, où les processus sont plus prévisibles.
Une Aversion au Risque qui Privilégie les Géants
Les autorités provinciales, responsables des achats dans le secteur de la santé, affichent une aversion au risque qui désavantage les jeunes entreprises. Les appels d’offres, souvent rigides, privilégient les solutions établies, même lorsque les startups proposent des technologies plus adaptées. Pire encore, même après avoir convaincu un acheteur potentiel, une startup peut perdre un contrat au profit du soumissionnaire le moins cher.
Les processus d’approvisionnement ne sont pas très accueillants pour les entreprises en croissance.
– Adrian Schauer, PDG d’AlayaCare
AlayaCare, une plateforme de gestion des soins fondée en 2014, illustre parfaitement ce défi. Malgré une croissance impressionnante et un ancrage fort au Canada (91 % de son capital est canadien), l’entreprise trouve le marché public canadien “long et frustrant”. Ce constat est d’autant plus alarmant que l’achat public pourrait agir comme un levier puissant pour les startups, chaque dollar investi générant un effet multiplicateur sur leur croissance.
La Fuite des Talents et des Innovations vers les États-Unis
Face à ces obstacles, de nombreuses startups healthtech canadiennes se tournent vers les États-Unis, où les opportunités semblent plus accessibles. Mimosa Diagnostics, qui développe un dispositif d’imagerie des tissus, a choisi de viser une certification auprès de la Food and Drug Administration (FDA) plutôt que de Health Canada. Pourquoi ? La FDA offre un processus plus rapide, moins coûteux et, surtout, une reconnaissance internationale.
Ce choix stratégique, bien que pragmatique, a des conséquences à long terme pour le Canada. En se concentrant sur des marchés étrangers, les startups exportent non seulement leurs technologies, mais aussi leurs talents et leurs investissements. Ce phénomène, qualifié de “fuite des cerveaux”, prive le Canada d’une partie de son potentiel d’innovation.
Des Réglementations Déconnectées du Monde
Outre les défis liés à l’achat public, les startups doivent composer avec un cadre réglementaire canadien souvent perçu comme déconnecté. Health Canada, l’organisme chargé d’approuver les technologies médicales, impose des exigences coûteuses et longues, sans offrir la portée internationale de certifications comme celle de la FDA. Ce décalage pousse les entreprises à prioriser des marchés étrangers, où les retombées économiques sont plus immédiates.
Pour illustrer ce point, prenons l’exemple d’une autre startup, PragmaClin, qui a choisi de contourner Health Canada pour obtenir directement l’approbation de la FDA. Cette stratégie, bien que judicieuse pour l’entreprise, souligne un problème systémique : le Canada ne parvient pas à retenir ses propres innovateurs.
Des Solutions pour Redynamiser l’Écosystème
Face à ces défis, les leaders du healthtech et le CCI proposent plusieurs pistes pour transformer l’achat public en moteur d’innovation. Voici les principales recommandations :
- Simplifier et standardiser les processus : Créer un système d’achat centralisé au niveau provincial pour réduire la fragmentation.
- Accroître la transparence : Publier des exigences claires dès le départ pour éviter les mauvaises surprises.
- Encourager la prise de risque : Réformer les appels d’offres pour valoriser l’innovation plutôt que le prix le plus bas.
- Harmoniser les réglementations : Aligner les exigences de Health Canada avec celles des organismes internationaux pour faciliter l’accès au marché mondial.
Ces mesures, si elles sont mises en œuvre, pourraient transformer l’achat public en un véritable tremplin pour les startups. Comme le souligne Adrian Schauer, un dollar investi dans l’achat public peut générer jusqu’à dix dollars d’investissement privé, un effet levier crucial pour les entreprises en croissance.
Le Rôle des Politiques Publiques
Le CCI ne se limite pas à critiquer le système actuel. Son rapport, intitulé Mandate to Innovate, propose une vision ambitieuse pour stimuler l’économie d’innovation canadienne. Parmi les recommandations, on note l’idée de créer un marché unique pour l’achat public à l’échelle nationale, en éliminant les barrières commerciales internes. Une telle initiative permettrait aux startups de toutes les provinces d’accéder plus facilement aux opportunités.
Le rapport appelle également à une augmentation de la prise de risque par les institutions publiques, comme la Banque de Développement du Canada, pour soutenir les entreprises innovantes. Enfin, il suggère de développer des secteurs à double usage, comme les technologies médicales ayant des applications militaires, à l’image de ce qui se fait aux États-Unis.
Les États-Unis ont su créer des passerelles entre les secteurs militaire et civil, ce qui dynamise leur innovation.
– Dr. Karen Cross, PDG de Mimosa Diagnostics
Et Si le Canada Inspirait le Monde ?
Le Canada a tout ce qu’il faut pour devenir un leader mondial en healthtech : des talents, des universités de renom et un écosystème entrepreneurial en pleine effervescence. Pourtant, sans une réforme profonde de son système d’achat public, le pays risque de continuer à perdre ses pépites au profit d’autres marchés. Les exemples d’AlayaCare et de Mimosa Diagnostics montrent que les startups canadiennes ont le potentiel de transformer la santé, à condition qu’on leur donne une chance.
En simplifiant les processus, en augmentant la transparence et en valorisant l’innovation, le Canada pourrait non seulement retenir ses talents, mais aussi inspirer d’autres nations. Et si, au lieu de suivre les États-Unis, le Canada devenait le modèle à suivre ?
Conclusion : Un Appel à l’Action
L’innovation en santé ne peut prospérer dans un système qui privilégie la prudence au détriment de l’audace. Les startups comme AlayaCare et Mimosa Diagnostics incarnent le potentiel du Canada, mais elles ont besoin d’un écosystème qui les soutient, et non qui les freine. En réformant l’achat public, le Canada peut libérer une vague d’innovation qui transformera non seulement la santé, mais aussi l’économie tout entière.
Alors, qu’attendons-nous ? Le temps est venu de bâtir un système d’achat public transparent, audacieux et orienté vers l’avenir. Car, comme le dit si bien Adrian Schauer, un dollar d’achat public peut changer la donne. À nous de saisir cette opportunité.