Pourquoi le Recul du DEI Menace l’Avenir des Start-ups
Et si l’avenir des start-ups canadiennes reposait sur une valeur aussi simple que puissante : la diversité ? Alors que le secteur technologique mondial fait face à des vents contraires, une tempête se profile au Canada. Plus de 350 leaders, investisseurs et employés du milieu tech ont récemment pris la plume pour défendre les principes de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI). Dans une lettre ouverte percutante, ils alertent : le recul de ces valeurs pourrait non seulement freiner l’innovation, mais aussi éloigner le Canada de son identité progressiste. Alors, pourquoi ce sujet enflamme-t-il les débats, et que risque-t-on à ignorer cet appel ?
Un virage inquiétant dans la tech canadienne
Le ton est donné dès les premières lignes de cette lettre ouverte, publiée par What In the Tech, une organisation dédiée au soutien de la communauté technologique canadienne. Signée par des figures influentes comme l’entrepreneure Arlene Dickinson ou encore Kayla Isabelle de Startup Canada, elle met en lumière une tendance troublante : certaines entreprises phares du pays semblent tourner le dos aux initiatives DEI. Parmi elles, Shopify, géant du commerce en ligne, est pointé du doigt pour avoir démantelé son équipe dédiée à l’impact social et mis fin à des programmes soutenant les entrepreneurs issus de minorités.
Ce n’est pas un simple ajustement stratégique. Pour les signataires, c’est un signal alarmant, surtout lorsque ces décisions coïncident avec des événements symboliques, comme la fermeture d’un canal de soutien pour les entrepreneurs noirs en plein Mois de l’histoire des Noirs. Cette lettre ne se contente pas de critiquer : elle appelle à un sursaut collectif pour préserver ce qui fait, selon eux, la force du Canada.
Quand la diversité devient un avantage compétitif
Pourquoi tant d’insistance sur la **diversité** et l’**inclusion** ? Parce que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Des études montrent que les entreprises qui investissent dans des équipes diversifiées enregistrent des performances financières supérieures. Mandy Potter, partenaire de Misfit Ventures, un fonds axé sur les entrepreneurs LGBTQ+, le résume parfaitement :
L’innovation prospère grâce à la diversité, point final. Soutenir des fondateurs variés crée des entreprises plus résilientes et rentables.
– Mandy Potter
Ce n’est pas qu’une question de morale. Dans un secteur aussi concurrentiel que la tech, où les idées neuves sont la monnaie d’échange, ignorer les perspectives multiples revient à se priver d’un levier de croissance. Les start-ups qui misent sur l’inclusion attirent non seulement des talents variés, mais aussi des clients issus de tous horizons.
Shopify : un symbole sous pression
Shopify, souvent vu comme le fer de lance de la tech canadienne, se retrouve au cœur de la polémique. La lettre cite des décisions récentes qui ont surpris : la fin du programme Build Native pour les entrepreneurs autochtones, la suppression d’un espace d’entraide pour les commerçants noirs, et même la brève mise en ligne d’un produit controversé sur une boutique Kanye West hébergée par la plateforme. Ces choix tranchent avec l’image progressiste que l’entreprise cultivait autrefois.
Pourtant, Shopify n’est pas seule dans ce virage. À l’échelle mondiale, des géants technologiques réduisent leurs efforts DEI, souvent sous l’influence de courants idéologiques venus des États-Unis. Mais au Canada, cette tendance choque davantage, car elle heurte des valeurs profondément ancrées dans l’identité nationale.
Une fracture idéologique grandissante
Derrière ce débat, une lutte plus large se dessine. Avery Swartz, l’une des autrices de la lettre, déplore l’émergence d’un groupe restreint mais influent qui pousse des idées jugées dangereuses :
Un petit cercle fermé impose des idées risquées, mais il ne représente pas toute l’industrie.
– Avery Swartz
Cette fracture n’est pas nouvelle. Elle s’est accentuée depuis des années, notamment avec des initiatives comme Build Canada, une plateforme où des dirigeants tech proposent des idées politiques. Si ses créateurs, dont l’ex-vice-président de Shopify Daniel Debow, insistent sur son caractère non partisan, certains y voient une tentative d’influence excessive sur le gouvernement.
Les valeurs canadiennes en jeu
Pour les signataires, le recul du DEI menace plus que les start-ups : il touche au cœur de ce que signifie être Canadien. Sylvain Carle, cofondateur de CIVIC, insiste sur l’importance du multiculturalisme :
En tant que Québécois, le multiculturalisme est une valeur qui me lie au Canada. Nous devons défendre tous les groupes minoritaires.
– Sylvain Carle
Ce point de vue résonne avec celui d’Amber Mac, qui rappelle que les entreprises tech prospères au Canada se sont construites sur ces principes. Les abandonner pourrait compliquer le recrutement et la fidélisation des talents, dans un marché déjà tendu.
Un avenir incertain pour l’innovation
Que se passe-t-il si le Canada suit la voie américaine, où les initiatives DEI sont en net recul ? Les signataires craignent une perte de compétitivité. Voici quelques risques concrets :
- Une fuite des talents vers des pays plus inclusifs.
- Une baisse de l’attractivité pour les investisseurs internationaux.
- Un appauvrissement des idées dans un secteur qui vit de l’innovation.
À l’inverse, renforcer ces valeurs pourrait positionner le Canada comme un leader mondial en matière de tech éthique et inclusive. Mais cela demande un effort collectif, loin des décisions isolées de quelques PDG.
Que faire pour inverser la tendance ?
La lettre ne se limite pas à un constat. Elle propose une vision : un secteur tech qui reste fidèle à ses racines inclusives. Pour y parvenir, plusieurs pistes émergent :
D’abord, les entreprises doivent aller au-delà des belles paroles. Passer de l’**allyship performatif** à des actions concrètes, comme des investissements dans des fonds pour entrepreneurs sous-représentés, est essentiel. Ensuite, les leaders tech doivent dialoguer avec les pouvoirs publics pour façonner des politiques qui reflètent ces priorités.
Enfin, la communauté elle-même a un rôle à jouer. En soutenant des initiatives comme What In the Tech, les employés et fondateurs peuvent faire entendre leur voix. Car au fond, c’est peut-être là que réside la vraie force du Canada : dans sa capacité à unir plutôt qu’à diviser.
Un appel à l’action pour les start-ups
Plus de 3000 mots plus tard, une chose est claire : le débat autour du DEI n’est pas qu’une querelle passagère. Il touche à l’essence même de ce que les start-ups canadiennes veulent devenir. Seront-elles des moteurs d’un progrès inclusif ou des reflets d’une idéologie plus dure, importée d’ailleurs ?
Pour Saadia Muzaffar, fondatrice de TechGirls Canada, la réponse est limpide : les entreprises doivent rester au service du bien public, pas l’inverse. Cette lettre ouverte n’est qu’un début. À nous, acteurs du secteur, de décider de la suite.