
Pourquoi ProLogium Repousse Sa Gigafactory à 2028 ?
Imaginez une usine géante, promise pour révolutionner la production de batteries en Europe, repoussée d’un an sans crier gare. C’est l’histoire de ProLogium, une start-up taïwanaise qui fait patienter Dunkerque jusqu’en 2028 pour sa gigafactory. Pourquoi ce contretemps ? Entre défis technologiques et ajustements stratégiques, plongeons dans les coulisses d’un projet aussi ambitieux qu’incertain.
Un Projet Gigantesque Face à des Défis Inattendus
Quand ProLogium a annoncé en 2023 son intention de construire une gigafactory à Dunkerque, dans le Nord de la France, l’enthousiasme était palpable. Avec un investissement colossal de 5,2 milliards d’euros et une capacité prévue de 48 gigawattheures, cette usine devait propulser l’Europe dans une nouvelle ère de production de batteries pour véhicules électriques. Mais début 2025, alors que les permis de construire et autorisations environnementales étaient enfin en poche, la firme a surpris en décalant le lancement à 2028.
Une Technologie en Pleine Évolution
Le cœur du report réside dans la quête de perfection technologique. ProLogium ne se contente pas de produire des batteries classiques : l’entreprise vise les batteries solides, une innovation qui remplace l’électrolyte liquide par un matériau solide. Cette technologie promet des charges plus rapides, une meilleure sécurité et une autonomie accrue. Mais elle reste complexe à industrialiser.
Calvin Hsieh, directeur du projet, explique que l’objectif est clair : « Nous peaufinons notre produit pour garantir un avantage concurrentiel. » En 2025, ProLogium a dévoilé une avancée majeure avec un électrolyte 100 % inorganique, éliminant le gel liquide présent dans ses précédentes versions hybrides. Ce changement, bien que prometteur, demande du temps pour être pleinement maîtrisé.
« C’est une technologie qui n’a pas encore fait ses preuves hors des labos. »
– Christophe Pillot, directeur d’Avicenne Energy
Un Marché Électrique en Pleine Tempête
Le contexte économique joue aussi un rôle clé. L’adoption des véhicules électriques en Europe ralentit, freinée par des coûts élevés et une concurrence chinoise féroce. Pascal Cerruti, directeur des affaires publiques chez ProLogium, admet : « Nous adaptons notre rythme aux conditions du marché. » La faillite retentissante de Northvolt, un acteur suédois des batteries, a jeté un froid sur le secteur, incitant les investisseurs à la prudence.
En France, des projets comme celui d’ACC luttent pour éviter un sort similaire. ProLogium, conscient de ces turbulences, préfère temporiser pour s’assurer que sa technologie soit au point avant de lancer une production massive. Car une usine de cette envergure, même dans sa phase initiale de 2 à 4 GWh, représente un investissement trop lourd pour risquer l’échec.
Des Machines à Repenser
Ce décalage n’est pas qu’une question de stratégie ou de recherche. Il a des implications concrètes sur le terrain. Avec l’évolution vers un électrolyte entièrement inorganique, entre un quart et un tiers des équipements prévus pour la gigafactory doivent être adaptés. « C’est un bouleversement dans notre chaîne de production », précise Pascal Cerruti. À Taïwan, la ligne pilote d’un gigawattheure subit déjà ces modifications pour tester la faisabilité à petite échelle.
Ce n’est pas une mince affaire. Varnika Agarwal, analyste chez Rho Motion, avertit : « Passer à une production de masse avec des batteries solides nécessite des lignes totalement différentes des standards actuels. » Le défi est technique, mais aussi financier : chaque ajustement coûte cher, et ProLogium veut éviter les erreurs coûteuses d’autres pionniers.
Dunkerque : Un Choix Stratégique Toujours d’Actualité
Malgré ce report, Dunkerque reste au cœur des ambitions de ProLogium. Pourquoi cette ville du Nord ? Son port stratégique, sa proximité avec les usines automobiles européennes et son accès à une énergie décarbonée – grâce à la centrale nucléaire de Gravelines et à des projets éoliens – en font un lieu idéal. Ajoutez à cela un soutien politique et financier français, avec une subvention de 1,5 milliard d’euros, et le tableau est complet.
Le projet promet aussi des retombées locales : 3 000 emplois directs et jusqu’à 12 000 indirects d’ici 2030. Mais pour l’instant, les habitants devront patienter. La construction, initialement prévue pour 2024, démarrera début 2026, avec une production attendue au premier semestre 2028.
Les Batteries Solides : Un Graal à Portée de Main ?
ProLogium n’est pas seul dans cette course. Des concurrents comme Blue Solutions, en France, ou Toyota, au Japon, explorent aussi les batteries solides. Mais aucun n’a encore franchi le cap de la production de masse. La start-up taïwanaise mise sur une approche intermédiaire : des batteries céramiques au lithium, semi-solides, comme étape vers le tout-solide. Une stratégie prudente, mais ambitieuse.
Les avantages sont alléchants : une recharge en quelques minutes, une durée de vie prolongée et une sécurité accrue. Pourtant, Christophe Pillot tempère : « On est encore loin d’une solution plug-and-play. » ProLogium prévoit de livrer ses premiers échantillons à Mercedes-Benz et Vinfast au troisième trimestre 2025, une étape cruciale pour valider son innovation.
Un Report Qui Pose Question
Ce décalage soulève des interrogations. Est-ce un signe de prudence ou un aveu de difficulté ? Pour certains experts, comme Varnika Agarwal, « industrialiser une technologie aussi disruptive est un pari risqué et coûteux ». ProLogium, soutenu par des partenariats solides et des fonds publics, semble avoir les reins assez solides pour tenir le cap. Mais le temps joue contre lui dans un secteur où la concurrence s’intensifie.
À Dunkerque, l’attente est palpable. Les autorités locales, qui misent sur ce projet pour booster l’économie, restent confiantes. « Le calendrier évolue, mais l’engagement reste intact », assure un représentant régional. Reste à savoir si ProLogium saura transformer ses promesses en réalité.
Les Enjeux d’une Révolution Industrielle
Ce report n’est pas qu’une anecdote. Il reflète les défis d’une industrie en mutation. La transition énergétique exige des innovations rapides, mais fiables. ProLogium, avec sa gigafactory, incarne cet équilibre précaire entre audace et réalisme. Ses batteries pourraient redéfinir la mobilité électrique, à condition de surmonter les obstacles techniques et économiques.
Pour l’heure, la start-up avance pas à pas. Voici les étapes clés de son plan révisé :
- Début 2026 : Lancement de la construction à Dunkerque.
- Premier semestre 2028 : Démarrage de la production initiale (2-4 GWh).
- 2030 et au-delà : Montée en puissance vers les 48 GWh.
Une Leçon de Patience et d’Ambition
ProLogium nous rappelle une vérité essentielle : les révolutions technologiques ne se font pas en un jour. Entre les espoirs suscités par ses batteries céramiques et les réalités du marché, la start-up taïwanaise joue une partition délicate. À Dunkerque, le compte à rebours est relancé, avec une question en suspens : ce report sera-t-il le prix d’une réussite éclatante ou le symptôme d’un rêve trop grand ?
Pour les observateurs, une chose est sûre : l’avenir de la mobilité électrique se joue aussi dans ces ajustements. Et si ProLogium réussit, 2028 pourrait marquer le début d’une nouvelle ère. Patience, donc, et regard braqué sur le Nord.