Québec : Crise du Financement des Startups en Vue ?
Saviez-vous que le Québec, souvent salué pour son dynamisme technologique, traverse une période sombre pour ses jeunes pousses ? En 2024, les chiffres parlent d’eux-mêmes : une chute vertigineuse des investissements au stade seed, ces premiers financements cruciaux pour les startups. Cette tendance, bien que préoccupante, divise les experts : certains y voient une crise imminente, d’autres un simple passage à vide. Alors, que se passe-t-il vraiment dans l’écosystème entrepreneurial québécois ?
Une chute brutale des financements seed : les chiffres qui inquiètent
Les données récentes ne laissent aucune place au doute. Selon un rapport de Réseau Capital, les transactions au stade seed ont plongé de plus de 50 % en un an, tandis que les montants investis ont dégringolé des deux tiers, passant à seulement 112 millions de dollars pour 39 deals. Cette baisse, qui reflète une tendance nationale au Canada, soulève une question essentielle : le pipeline des startups à fort potentiel est-il en train de s’assécher ?
Pour les observateurs, ce n’est pas juste une statistique. C’est un signal d’alarme. Olivier Quenneville, PDG de Réseau Capital, ne mâche pas ses mots : « Ces chiffres faibles sont préoccupants. Ils pourraient annoncer un affaiblissement des entreprises capables de passer aux stades suivants. » Une inquiétude partagée par beaucoup dans le milieu.
Un écosystème en manque de capitaux privés
Derrière ces chiffres se cache une réalité plus complexe : le Québec dépend trop des fonds publics. Les quatre investisseurs les plus actifs en 2024 ? Tous des fonds institutionnels soutenus par le gouvernement. Si cette présence publique a permis de maintenir l’écosystème à flot, elle masque un problème de taille : le manque de **capitaux privés**, surtout au stade seed.
David Dufresne, ancien VC de CMD Capital, est catégorique : « On ne peut pas bâtir un écosystème sain sans argent privé au démarrage. » Son fonds, récemment mis en pause faute d’appétit des investisseurs institutionnels, illustre bien cette fragilité. Et il n’est pas le seul à pointer du doigt cette lacune structurelle.
« Sans un nombre sain de tours pre-seed et seed, les étapes ultérieures vont souffrir. C’est mécanique. »
– David Dufresne, ex-CMD Capital
Pour aggraver les choses, le gouvernement québécois a discrètement fermé un programme de matching d’investissements pour les premières levées de fonds en novembre dernier. Résultat ? Plusieurs entrepreneurs se retrouvent sans filet de sécurité, accentuant la pression sur un marché déjà tendu.
Les répercussions sur le pipeline des startups
Moins de deals seed aujourd’hui, c’est moins de champions demain. Le raisonnement est simple : les startups qui ne trouvent pas de financement initial peinent à décoller, à innover, ou même à survivre. À terme, cela risque de créer un goulot d’étranglement pour les stades early et growth, où le Québec affiche déjà des lacunes criantes.
En 2024, aucun deal growth-stage n’a été recensé dans la province, selon Réseau Capital. Le seul éclat notable ? Une ronde de financement convertible de 289 millions de dollars pour Blockstream, qui a presque à elle seule porté les investissements tardifs au dernier trimestre. Sans cette exception, le tableau serait encore plus sombre.
Pourtant, tout le monde ne voit pas cela comme une catastrophe. Hugues Lalancette, partenaire chez Inovia Capital, reste optimiste : « L’écosystème est solide. On traverse juste une phase difficile liée à des facteurs globaux. » Mais même lui admet que la rareté des liquidités freine les déploiements de capitaux.
L’intelligence artificielle : une lueur d’espoir ?
Dans ce paysage morose, un secteur tire son épingle du jeu : l’**intelligence artificielle**. Selon un rapport d’Inovia, le Québec domine les investissements en IA au Canada, avec 24 % des deals AI et 23 % des entreprises financées entre 2019 et 2024. Cette dynamique attire les regards et les dollars, même en période de vaches maigres.
« L’IA permet aux startups de faire plus avec moins », explique Lalancette. Grâce à des modèles plus efficaces et une adoption rapide, les entreprises québécoises séduisent malgré la frilosité ambiante. Mais est-ce suffisant pour compenser les failles systémiques ?
Pas pour tout le monde. Si l’IA brille, elle ne peut pas porter seule un écosystème. Les autres secteurs, moins glamour, souffrent toujours du manque de fonds au démarrage. Et sans une base large et diversifiée, le Québec risque de rater le coche sur la prochaine génération d’innovations.
Les gestionnaires émergents en difficulté
Un autre frein majeur ? La crise des gestionnaires émergents. Ces nouveaux fonds, souvent plus enclins à parier sur des projets pre-seed et seed, peinent à lever des capitaux. En 2022, ils avaient collecté 1,2 milliard de dollars sur 28 fonds. En 2024 ? À peine 172 millions sur huit fonds. Une chute drastique.
Pour Dufresne, c’est un symptôme clair : « Les LPs [partenaires limités] manquent de liquidités et préfèrent miser sur des fonds établis. » Conséquence ? Les jeunes VCs, comme CMD Capital, jettent l’éponge, laissant un vide que personne ne comble pour l’instant.
« Personne ne prend la responsabilité de reconstruire l’écosystème early-stage. »
– David Dufresne
Quelques initiatives, comme le Discovery Fund I d’Inovia, tentent de soutenir ces nouveaux joueurs. Mais pour beaucoup, cela reste une goutte d’eau dans l’océan face à l’ampleur du défi.
Et après ? Perspectives et solutions
Alors, que faire ? Les avis divergent. Lalancette mise sur un rebond naturel, porté par des acquisitions américaines qui pourraient réinjecter des liquidités dans le marché. « Cet argent remontera jusqu’aux LPs, puis redescendra vers les jeunes pousses », prédit-il. Une vision optimiste, mais qui dépend de facteurs externes incertains, comme la guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis.
Quenneville, lui, appelle à une mobilisation : « Il faut plus d’argent privé et une stratégie claire pour les premières étapes. » Une urgence d’autant plus pressante que l’incertitude économique actuelle ne favorise pas les prises de risque.
Pour relancer la machine, certains proposent des pistes concrètes :
- Encourager les anges investisseurs via des incitatifs fiscaux.
- Relancer des programmes publics ciblés sur le seed.
- Stimuler la création de fonds émergents avec des partenariats public-privé.
Reste une certitude : sans action rapide, le Québec pourrait voir son statut de hub technologique s’éroder. La balle est dans le camp des acteurs publics et privés. Sauront-ils relever le défi ?