
Rally Festival Aide Ados à Déconnecter
Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez passé une journée entière sans consulter votre téléphone ? Pour beaucoup d’adolescents d’aujourd’hui, cette idée semble presque irréelle, comme un défi insurmontable face à la pression constante des notifications.
Pourtant, un vent de changement souffle sur Toronto. Un festival inédit vient de réunir des milliers de jeunes, parents et éducateurs autour d’une idée simple mais révolutionnaire : il est acceptable, voire bénéfique, d’être injoignable.
Rally : quand la déconnexion devient un mouvement collectif
Imaginez une salle comble, des milliers d’adolescents excités, un DJ qui prend les demandes en direct, et pourtant… presque aucun écran allumé. C’est la scène qui s’est déroulée au Meridian Hall de Toronto lors de la première édition de Rally, un festival dédié au bien-être numérique.
Derrière cette initiative, un couple atypique : Keith Wallace, ancien dirigeant de la conférence tech Collision, et Brigitte Truong, animatrice et créatrice de contenu. Lassés de leur propre addiction aux écrans pendant la pandémie, ils ont décidé de transformer leur frustration en action positive.
Leur objectif ? Prouver aux jeunes qu’être hors ligne peut être cool, tendance, et surtout libérateur. Une ambition qui résonne particulièrement dans un contexte où les plateformes sociales sont accusées de contribuer à une crise de santé mentale chez les jeunes.
Une crise silencieuse derrière les écrans
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis l’explosion des réseaux sociaux, les cas d’anxiété et de dépression chez les adolescents ont grimpé en flèche. Au Canada, une étude récente révèle que les jeunes passent en moyenne plus de sept heures par jour devant un écran.
Keith Wallace ne mâche pas ses mots : « Si nous n’aidons pas les adolescents dès aujourd’hui à gérer leur rapport à la technologie, les conséquences seront désastreuses lorsqu’ils entreront sur le marché du travail. »
Nous voulons aider les écoles à trouver des solutions et rappeler aux adolescents qu’il est okay d’être injoignable.
– Keith Wallace, cofondateur de Rally
Cette pression permanente d’être connecté crée un cercle vicieux. Les jeunes se comparent sans cesse aux vies idéalisées présentées sur Instagram ou TikTok, développant une estime de soi fragile, dépendante des likes et des commentaires.
Simran Sodha, élève de terminale et membre du comité consultatif jeunesse de Rally, témoigne : les standards de beauté inatteignables et la toxicité en ligne pèsent lourd, surtout sur les filles. « Il est facile de définir sa valeur selon le nombre de followers », confie-t-elle.
Des solutions concrètes pour reprendre le contrôle
Rally ne se contente pas de diagnostiquer le problème. Le festival propose des pistes d’action immédiates, testées par les jeunes eux-mêmes.
Parmi les stratégies plébiscitées :
- Instaurer des limites d’écran personnelles ou parentales
- Organiser des « detox numériques » collectives avec des amis
- Privilégier les interactions réelles pour créer des liens authentiques
- Utiliser les réseaux pour organiser des rencontres offline
Ash MacArthur, en première, a grandi avec une tablette dans les mains. Aujourd’hui, lui et ses amis expérimentent différentes approches : certains abandonnent complètement le smartphone, d’autres imposent des restrictions horaires strictes.
« Posez simplement votre téléphone », conseille-t-il. « C’est difficile au début, mais vous ne manquez rien d’essentiel en ligne quand vous vivez pleinement le réel. »
Le rôle ambigu de l’intelligence artificielle
L’IA ajoute une couche de complexité au débat. Si certains y voient un outil pédagogique puissant, d’autres s’inquiètent de son impact sur l’authenticité des relations humaines.
Simran Sodha alerte : « Il faut distinguer l’aide de la substitution. Utiliser l’IA pour structurer un devoir, oui. La laisser écrire à notre place, non. Sinon, nous parlons tous avec la voix d’une machine. »
Si nous communiquons tous derrière la voix de l’IA, nous ne communiquons plus vraiment.
– Simran Sodha, étudiante et membre du comité jeunesse
Le risque ? Que les chatbots deviennent des confidents de substitution. Mark Zuckerberg a récemment proposé les personas IA comme solution à la solitude. Une perspective qui glace le sang de nombreux participants à Rally.
Keith Wallace, qui n’a pas encore d’enfants, refuse cette vision : « L’avenir de l’amitié ne peut pas être des robots. » Lui et Sodha plaident pour des restrictions d’âge strictes et une régulation renforcée.
Des témoignages qui marquent les esprits
Sam Demma, conférencier motivateur, a captivé l’audience avec son metaphorique « sac à dos invisible ». Chacun porte, dit-il, un bagage rempli d’histoires, de croyances et d’expériences qui définissent son identité.
« Les adolescents doivent curer leur consommation numérique comme on trie son sac », explique-t-il. « Garder le meilleur, jeter ce qui alourdit. Et surtout, demander de l’aide quand le poids devient trop lourd. »
Son propre parcours résonne particulièrement. Après une blessure qui a brisé ses rêves de footballeur professionnel, Demma a sombré en voyant ses amis réussir sur les réseaux. Sa guérison ? Un professeur inspirant et une année complète sans réseaux sociaux.
« J’avais peur que ma vie s’effondre… et l’inverse s’est produit », raconte-t-il. « J’ai noué des relations plus profondes et décroché plus de contrats que prévu, sans être dans les feeds de tout le monde. »
Les partenariats qui rendent l’impossible possible
Organiser un événement gratuit pour des milliers d’élèves n’est pas une mince affaire. Rally a su fédérer un écosystème de partenaires engagés dans la cause du bien-être numérique.
Bell Let’s Talk, le CAMH, Canada Health Infoway, CIRA, Digital Moment, Meridian Credit Union, Snapchat, Telus et la Ville de Toronto ont tous contribué. Snapchat, particulièrement populaire chez les jeunes Canadiens, a mis l’accent sur l’éducation des parents aux outils de sécurité de sa plateforme.
Tonya Johnson, responsable communication Canada chez Snapchat, souligne l’importance de ces initiatives : « Nous voulons faire partie de la conversation sur la sécurité en ligne, pas seulement fournir une app. »
Une première édition qui pose les bases d’un mouvement annuel
Cette journée pilote avait pour ambition de valider le concept tout en atteignant l’équilibre financier. Mission accomplie, selon Keith Wallace, grâce au soutien des partenaires.
Le programme était dense mais accessible : talks courts, interactions avec le public, thèmes variés allant de la santé mentale à l’avenir du travail en passant par l’expression de soi. Les animateurs ont même lancé l’événement en demandant à tous d’éteindre leurs téléphones – un geste symbolique applaudi par une foule enthousiaste.
Le DJ live prenant les demandes musicales a ajouté une touche festive, prouvant que l’on peut s’amuser collectivement sans écrans interposés.
Et après ? Vers une déconnexion culturelle
Rally ne s’arrête pas là. Les cofondateurs envisagent une édition annuelle, plus ambitieuse, avec peut-être des déclinaisons dans d’autres villes canadiennes.
Mais au-delà de l’événement, c’est un changement culturel qui est visé. Rendre la déconnexion désirable, intégrée aux codes sociaux des jeunes. Imaginez des badges « Offline & Proud », des challenges entre écoles, des influenceurs qui vantent les mérites du silence numérique.
Les écoles pourraient jouer un rôle central. Certaines testent déjà des politiques de « zones sans téléphone » pendant les pauses. D’autres intègrent des modules d’éducation aux médias dans leurs programmes.
Ce que les parents peuvent faire dès aujourd’hui
Vous êtes parent et vous vous sentez démuni face à l’addiction numérique de votre ado ? Voici quelques actions concrètes inspirées de Rally :
- Instaurer des « heures sans écran » familiales (repas, soirées)
- Discuter ouvertement des pressions sociales en ligne
- Proposer des alternatives attractives : sport, art, bénévolat
- Donner l’exemple en limitant votre propre usage
- Utiliser les outils parentaux sans espionnage excessif
Comme le dit Simran Sodha, poser des limites saines est difficile mais efficace. Ses amies et elle ont vu leur bien-être s’améliorer grâce à des restrictions auto-imposées.
Les entreprises tech face à leurs responsabilités
Les géants de la tech ne sont pas absents du débat. Snapchat montre la voie en éduquant plutôt qu’en niant. Mais d’autres plateformes pourraient aller plus loin :
Instagram a testé la suppression des likes publics. TikTok expérimente des rappels de pause. Ces initiatives restent timides face à des algorithmes conçus pour maximiser le temps passé.
Keith Wallace, fort de son expérience dans la tech, dénonce ces mécanismes : « Les plateformes monétisent l’attention humaine. Nous devons repenser leur modèle économique pour privilégier le bien-être. »
Perspectives internationales : le Canada en pointe ?
Le Canada n’est pas seul. En Europe, le Digital Services Act impose plus de transparence aux plateformes. En Australie, des expérimentations d’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 16 ans font débat.
Mais Rally se distingue par son approche positive : plutôt que d’interdire, il s’agit d’éduquer et d’autonomiser. Une philosophie qui pourrait inspirer d’autres pays.
La France, avec son plan de lutte contre les écrans à l’école, pourrait trouver dans Rally un complément précieux pour les temps extrascolaires.
Conclusion : vers une génération équilibrée
Rally n’est qu’un début. Mais quel début ! En une journée, des milliers de jeunes ont découvert qu’ils pouvaient s’amuser, apprendre et connecter sans écrans. Qu’être injoignable n’est pas un défaut, mais une force.
Comme le résume Sam Demma : « Le vrai luxe aujourd’hui, c’est l’attention non divisée. » Dans un monde saturé d’informations, savoir se déconnecter devient une compétence essentielle.
Les adolescents d’aujourd’hui seront les adultes de demain. S’ils apprennent dès maintenant à maîtriser leur rapport à la technologie plutôt que l’inverse, c’est toute la société qui en bénéficiera. Rally vient de poser la première pierre d’un édifice plus sain, plus humain.
Et vous, quand éteindrez-vous votre téléphone pour de bon ?