
Reprises Industrielles : Europlasma Sous Pression
Imaginez une usine au bord de la faillite, ses machines à l’arrêt, ses salariés dans l’incertitude. Puis arrive un sauveur, promettant des millions d’euros et une renaissance industrielle. C’est l’histoire d’Europlasma, un groupe qui se spécialise dans le rachat d’usines en difficulté. Mais derrière les annonces ambitieuses, les engagements tiennent-ils la route ? Cet article plonge dans une stratégie qui fascine autant qu’elle interroge, entre espoirs de relance et défis colossaux.
Europlasma : Le Roi des Reprises Audacieuses
Basé en Nouvelle-Aquitaine, Europlasma s’est taillé une réputation de repreneur d’usines en détresse. Fonderie de Bretagne, Valdunes, Forges de Tarbes : autant de sites industriels sauvés de justesse par ce groupe. Mais cette ambition cache une réalité complexe. Si l’entreprise bénéficie du soutien de l’État, notamment pour des projets liés à l’économie de guerre, ses investissements tardent souvent à se matérialiser, laissant salariés et observateurs dans l’attente.
Une Stratégie de Reprise à Haut Risque
Europlasma cible des usines stratégiques, souvent dans la métallurgie ou la sidérurgie, des secteurs clés pour la souveraineté industrielle. Prenons l’exemple de la Fonderie de Bretagne, en redressement judiciaire depuis janvier 2025. Le 16 avril, le tribunal de commerce de Rennes a examiné l’offre de reprise d’Europlasma, unique candidat. Le projet ? Réorienter l’activité vers la défense et diversifier vers la machinerie agricole. Une promesse séduisante, mais qui soulève des doutes.
« Rien ne s’est produit comme prévu dans le business plan présenté pour la reprise. »
– Philippe Lihouck, délégué syndical CGT de Valdunes
À Valdunes, dans le Nord, Europlasma avait annoncé 30 millions d’euros d’investissements pour moderniser deux sites et produire des roues « vertes » pour le ferroviaire. Aujourd’hui, les ambitions semblent revues à la baisse, avec des investissements réduits de moitié selon certaines sources. Les 6 millions déjà injectés auraient servi aux dépenses courantes, non à l’outil industriel. Pourtant, la situation financière s’améliore, avec des pertes réduites de 20 à 1 million d’euros en 2024.
Les Forges de Tarbes : Un Cas d’École
Aux Forges de Tarbes, Europlasma a bénéficié de 7,1 millions d’euros d’aides publiques pour produire des corps creux d’obus de 155 mm. La production a bondi, passant de 40 000 à 55 000 pièces en 2024, avec un objectif de 160 000 d’ici fin 2025. Mais les salariés dénoncent un outil de production vétuste, sujet à des pannes fréquentes.
« On fait plus de volumes, mais notre outil est mal en point. Les millions promis se font attendre. »
– Josiane Frétier, déléguée syndicale CGT des Forges de Tarbes
Si six nouvelles tours d’usinage à commandes numériques ont été installées, les réparations se font au compte-goutte. Les salariés, désormais 80 contre 65 un an plus tôt, travaillent souvent le samedi soir pour répondre à la demande. Mais l’absence d’investissements massifs freine l’élan.
Un Soutien Étatique Controversé
Le ministère de l’Économie défend Europlasma, arguant que d’autres industriels ont été sollicités sans succès. À Valdunes, des visites et rencontres ont été organisées pour rassurer. Bercy insiste : « Europlasma a amélioré les outils de production et recruté. La trajectoire est plus lente, mais l’ambition reste. » Pourtant, la santé financière du groupe inquiète. Au premier semestre 2024, le chiffre d’affaires a doublé à 15,56 millions d’euros, mais l’Ebitda s’est dégradé à -8,3 millions.
Le principal actionnaire, Alpha Blue Ocean, condamné par l’Autorité des marchés financiers en 2024, ajoute à la méfiance. La France Insoumise a même réclamé une commission d’enquête parlementaire pour examiner les pratiques d’Europlasma.
Diversification : Une Ambition à Double Tranchant
Europlasma mise sur la diversification pour pérenniser ses reprises. À la Fonderie de Bretagne, l’objectif est de produire pour la défense tout en explorant la machinerie agricole. À Valdunes, les corps creux pour munitions s’ajoutent aux roues ferroviaires. Mais cette stratégie demande des investissements colossaux, difficiles à mobiliser pour une entreprise aux finances fragiles.
Les syndicats craignent que ces annonces ne soient qu’un écran de fumée. À Tarbes, les pannes à répétition et les retards de livraison fragilisent la production. À Valdunes, le laminoir à roues, en fin de vie, cause des arrêts de quatre semaines. Certains ouvriers, payés sans travailler faute de chômage partiel, sont envoyés à Tarbes pour pallier les besoins.
Les Défis de l’Économie de Guerre
La montée en puissance de l’économie de guerre offre des opportunités uniques à Europlasma. Les commandes affluent, notamment pour les obus de 155 mm, essentiels pour des conflits comme celui en Ukraine. Mais répondre à cette demande exige une modernisation rapide des usines, un défi que le groupe peine à relever. Les 30 millions d’euros promis à Valdunes ou les investissements à Tarbes restent en grande partie des vœux pieux.
Pourtant, le ministère de la Défense maintient sa confiance, avec une posture de « vigilance ». Les discussions avec la Direction générale de l’armement valident les programmes d’investissement, mais les résultats concrets manquent encore.
Un Modèle Économique Fragile
Le modèle d’Europlasma repose sur des reprises à bas coût, soutenues par des aides publiques et des promesses d’investissements. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. Malgré un chiffre d’affaires en hausse, les pertes persistent. L’intégration de Valdunes, reprise en mars 2024, explique en partie la dégradation de l’Ebitda. Les résultats annuels 2024, attendus fin avril 2025, seront cruciaux pour juger de la viabilité du groupe.
Voici les principaux indicateurs financiers d’Europlasma en 2024 :
- Chiffre d’affaires : 15,56 millions d’euros (contre 7,16 millions en 2023).
- Ebitda : -8,3 millions d’euros (contre -6,5 millions en 2023).
- Pertes à Valdunes : réduites de 20 à 1 million d’euros.
Quel Avenir pour Europlasma ?
Europlasma se trouve à un tournant. Ses reprises, si elles aboutissent, pourraient redonner vie à des fleurons industriels français. Mais les retards d’investissement et les critiques syndicales pèsent lourd. La confiance de l’État, bien que maintenue, est assortie d’une vigilance accrue. Les prochains mois seront décisifs pour prouver que le groupe peut transformer ses promesses en réalité.
Les enjeux sont multiples :
- Moderniser des outils de production vétustes.
- Tenir les engagements financiers auprès des salariés et des partenaires.
- Réussir la diversification vers la défense et l’agriculture.
Si Europlasma parvient à surmonter ces défis, il pourrait devenir un modèle de relocalisation et de résilience industrielle. Sinon, il risque de rejoindre la liste des entreprises aux ambitions déçues, laissant derrière lui des usines et des salariés dans l’incertitude.
Conclusion : Un Pari sur l’Avenir
Europlasma incarne les espoirs et les limites de la réindustrialisation française. Ses reprises audacieuses, soutenues par l’État, visent à préserver des savoir-faire stratégiques. Mais les promesses non tenues et les finances fragiles rappellent que relancer une usine ne se fait pas d’un claquement de doigts. Alors, pari gagnant ou mirage industriel ? L’avenir nous le dira.