Révolution en Paléogénétique : Le Génome du Virus de 1918
Imaginez un instant : un poumon humain, prélevé il y a plus de cent ans sur un jeune homme emporté par une maladie fulgurante, conservé dans un bocal de formol au fond d'une collection médicale. Ce fragment de tissu, oublié pendant des décennies, vient soudain de livrer un secret extraordinaire. Des chercheurs ont réussi à en extraire le génome complet du virus responsable de la pire pandémie de l'histoire moderne.
Une percée historique en paléogénétique virale
En août 2025, une équipe internationale dirigée par l'Université de Bâle en Suisse a annoncé une avancée majeure. Pour la première fois, le génome entier d'un virus de la grippe de 1918, daté précisément et originaire d'Europe, a été reconstitué. Ce n'est pas une simple séquence partielle, mais une cartographie complète issue d'un échantillon unique : le poumon d'un adolescent de 18 ans décédé à Zurich en juillet 1918.
Cette prouesse technique repousse les limites de ce que l'on croyait possible avec des tissus fixés chimiquement. Jusqu'à présent, le formol était considéré comme un ennemi implacable de l'ARN viral, dégradant irrémédiablement les fragiles molécules génétiques. Pourtant, grâce à une nouvelle méthode de séquençage, les scientifiques ont surmonté cet obstacle.
Le contexte d'une pandémie légendaire
La grippe dite "espagnole" de 1918-1920 reste la référence absolue en matière de catastrophe sanitaire. En quelques mois seulement, elle a infecté un tiers de la population mondiale et causé entre 50 et 100 millions de décès. Plus meurtrière que la Première Guerre mondiale elle-même, elle a surtout frappé les jeunes adultes en pleine force de l'âge, un profil inhabituel pour une influenza.
Contrairement à une idée reçue, l'épidémie n'est pas née en Espagne. Le nom "espagnole" vient simplement du fait que l'Espagne, neutre pendant la guerre, n'a pas censuré les informations sur la maladie, contrairement aux pays belligérants. L'origine réelle reste débattue, mais les premières traces remontent au printemps 1918, aux États-Unis ou en Europe.
La pandémie s'est déroulée en trois vagues distinctes. La première, au printemps 1918, était relativement bénigne. La seconde, à l'automne, s'est révélée d'une virulence exceptionnelle. La troisième, en 1919, a progressivement décliné. C'est dans cette première vague que le jeune Suisse a perdu la vie, offrant aujourd'hui un témoignage précieux.
Une méthode révolutionnaire pour l'ARN ancien
Le véritable exploit réside dans la technique développée par l'équipe. Christian Urban, premier auteur de l'étude, explique que l'ARN ancien ne se conserve que dans des conditions très spécifiques. La fixation au formol fragmente et modifie chimiquement les molécules, rendant leur analyse extrêmement complexe.
"C'est pourquoi nous avons développé une nouvelle méthode pour améliorer notre capacité à récupérer des fragments d'ARN ancien à partir de tels spécimens."
– Christian Urban, premier auteur de l'étude
Cette approche repose sur une ligation ciblée qui capture des fragments plus courts tout en préservant l'orientation des brins d'ARN. Combinée à un séquençage de nouvelle génération optimisé, elle permet de reconstruire des génomes autrefois inaccessibles.
L'impact potentiel est immense. Des milliers de spécimens anatomiques conservés dans les collections médicales du monde entier pourraient soudain devenir des mines d'informations génétiques. Maladies infectieuses historiques, évolution des pathogènes, dynamiques d'épidémies passées : tout cela devient potentiellement déchiffrable.
Des mutations déjà présentes dès la première vague
La comparaison du génome zurichois avec ceux reconstitués à partir d'échantillons allemands et nord-américains révèle une surprise de taille. Trois adaptations cruciales pour la virulence humaine étaient déjà présentes dès l'été 1918.
Deux mutations concernent l'évasion du système immunitaire inné. Elles permettent au virus de contourner la protéine MxA, un antiviral particulièrement efficace contre les influenzas d'origine aviaire. Ces changements facilitent grandement la transmission interhumaine.
La troisième mutation modifie l'hémagglutinine, la protéine de surface qui permet au virus de se fixer aux cellules humaines. Cette altération améliore la reconnaissance des récepteurs spécifiques à notre espèce, augmentant ainsi l'efficacité infectieuse.
Jusque-là, les chercheurs pensaient que ces adaptations étaient apparues plus tardivement, au cours de la pandémie. Leur présence précoce en Europe suggère une évolution extrêmement rapide du virus, déjà optimisé pour l'homme dès les premiers mois.
Une diversité génétique inattendue
Autre découverte marquante : une variabilité inhabituelle dans le segment PB2 du polymerase viral. Cette diversité suggère soit une pression sélective intense, soit un mélange entre différentes souches virales circulant simultanément.
Comparé au virus H1N1 de 2009, le pathogène de 1918 montre une variabilité plus élevée dans les gènes clés de réplication et d'adaptation à l'hôte. Cette plasticité génétique explique probablement sa capacité à se propager aussi vite et aussi loin.
- Adaptations précoces à l'hôte humain dès la première vague
- Évasion efficace du système immunitaire inné via MxA
- Optimisation de l'hémagglutinine pour les récepteurs humains
- Diversité génétique élevée favorisant l'évolution rapide
Des leçons pour les pandémies futures
Verena Schünemann, responsable de l'étude, insiste sur l'importance de ces découvertes pour l'avenir. Comprendre comment un virus s'adapte à l'homme sur de longues périodes permet de mieux modéliser les risques pandémiques.
"Une meilleure compréhension des dynamiques d'adaptation des virus aux humains pendant une pandémie sur une longue période nous permet de développer des modèles pour les pandémies futures."
– Verena Schünemann, Université de Bâle
Les parallèles avec le SARS-CoV-2 sont frappants. Les deux virus ont montré une capacité d'évolution rapide, accumulant des mutations avantageuses en quelques mois seulement. L'étude de ces mécanismes anciens aide à identifier les cibles vaccinales universelles ou les points faibles communs.
Plus largement, cette recherche illustre comment la paléogénétique transforme notre compréhension des maladies infectieuses. En remontant le fil de l'évolution virale, les scientifiques peuvent anticiper les trajectoires possibles des pathogènes émergents.
Vers une nouvelle ère de recherche sur les pathogènes historiques
Cette reconstitution ouvre des perspectives vertigineuses. Les collections médicales regorgent de spécimens fixés datant du XIXe et XXe siècle. Pestes, choléra, tuberculose, variole : autant de génomes potentiellement récupérables pour retracer l'histoire évolutive des grandes tueuses de l'humanité.
Dans le domaine de la santé publique, ces données historiques deviennent un outil précieux. Elles permettent de tester des hypothèses sur l'origine des pandémies, d'évaluer l'impact des interventions passées, et de préparer des stratégies plus efficaces face aux menaces futures.
La biotech bénéficie directement de ces avancées. Les techniques de récupération d'ARN ancien trouvent déjà des applications en médecine légale, en archéologie, et même en conservation des espèces menacées. L'interdisciplinarité entre génétique, histoire et médecine s'affirme comme un champ fertile d'innovations.
Au final, ce poumon zurichois de 1918 nous parle encore aujourd'hui. Il nous rappelle la fragilité de notre espèce face aux microbes, mais aussi l'incroyable puissance de la science pour transformer le passé en connaissances salvatrices. Dans un monde où les zoonoses émergentes se multiplient, ces leçons venues du fond des âges pourraient bien nous sauver demain.