Sandvine annonce son retrait de 56 pays non-démocratiques
Sandvine, l'entreprise canadienne connue pour fournir des technologies de surveillance d'Internet à des régimes autoritaires, a annoncé jeudi un changement majeur de cap. Dans un communiqué, la firme indique se retirer de 56 pays jugés "non-démocratiques", affirmant vouloir désormais être un "leader des solutions technologiques pour les démocraties".
Ce revirement intervient après des années d'enquêtes journalistiques mettant en lumière les activités controversées de Sandvine. Selon Bloomberg, l'entreprise aurait vendu ses outils de surveillance à des pays comme le Bélarus, l'Égypte, l'Érythrée, les Émirats arabes unis ou encore l'Ouzbékistan, leur permettant de censurer Internet et d'espionner leurs citoyens.
Un retrait progressif des pays "non-démocratiques"
D'après son communiqué, Sandvine a déjà quitté 32 pays et est en train de se retirer de 24 autres. Si la plupart ne sont pas nommés, l'entreprise mentionne spécifiquement l'Égypte, promettant d'y cesser ses activités d'ici fin mars 2025. Pour les autres pays et clients non-gouvernementaux en Égypte, la date butoir est fixée à fin 2025.
Sandvine précise avoir basé sa décision sur une revue de ses opérations à l'aune du Democracy Index 2023 de The Economist Intelligence Unit, qui classe les pays selon leur "type de régime". Des consultations avec les départements américains du Commerce et d'État ainsi que d'autres membres clés du gouvernement ont également été menées.
La pression du gouvernement américain
Cette volte-face de Sandvine fait suite à son placement sur liste noire par le département américain du Commerce plus tôt cette année. Washington accusait l'entreprise d'avoir vendu ses produits au gouvernement égyptien, qui les utilisait pour "surveiller massivement le web, censurer l'actualité et cibler des acteurs politiques et militants des droits humains".
Le cas Sandvine montre ce qui peut se produire lorsque recherche factuelle, journalisme d'investigation et défense de l'intérêt public se combinent à une réglementation gouvernementale ciblée et significative.
Ron Deibert, directeur du Citizen Lab
Au cours des dernières années, le groupe de recherche Citizen Lab avait également publié des rapports exposant l'utilisation des technologies Sandvine en Turquie et Syrie pour rediriger des centaines d'utilisateurs vers des logiciels espions.
Un "impact positif direct" des sanctions américaines
Pour les experts, ce revirement de Sandvine illustre l'efficacité de la pression exercée par le gouvernement américain. John Scott-Railton, chercheur chez Citizen Lab, y voit la preuve que "le modèle américain, qui inclut des sanctions, peut avoir un impact positif direct" pour freiner la prolifération de technologies de surveillance.
Washington a multiplié les actions contre les entreprises de ce secteur ces dernières années, ciblant notamment les sociétés de logiciels espions NSO Group et Intellexa. Des sanctions personnelles ont même été prises contre le fondateur d'Intellexa, faisant craindre à d'autres acteurs du secteur de se retrouver dans le viseur américain.
L'avenir incertain de Sandvine
Si ce virage stratégique permet à Sandvine d'échapper aux sanctions, il soulève des questions quant à son modèle économique futur. En se retirant de nombreux pays, l'entreprise se prive d'une part importante de son marché. Sa capacité à prospérer en se concentrant sur les démocraties reste à prouver.
Les défenseurs des droits numériques saluent néanmoins cette décision comme une victoire, espérant qu'elle incitera d'autres acteurs à plus de responsabilité. Mais ils soulignent la nécessité de maintenir la pression pour empêcher de nouvelles dérives. Car dans l'ombre, le marché mondial des technologies de surveillance continue de prospérer, menaçant les libertés fondamentales à travers le monde.