
Sébastien Lecornu : Révolution de la Défense Française
En mai 2022, un vent nouveau souffle sur le ministère des Armées. Sébastien Lecornu, fraîchement nommé, se retrouve face à un défi colossal : préparer la France à une guerre de haute intensité tout en soutenant l’Ukraine face à l’invasion russe. Comment un ministre, plongé dans un univers où chaque obus compte, a-t-il su transformer l’industrie de la défense française ? Cet article explore son approche, mêlant dialogue, pression sur les industriels et défense acharnée de la souveraineté industrielle.
Une Mission sous Haute Pression
À peine arrivé à l’hôtel de Brienne, Sébastien Lecornu doit répondre à une injonction claire d’Emmanuel Macron : accélérer la production d’armements dans une logique d’économie de guerre. L’objectif est double : reconstituer les stocks français et fournir rapidement des équipements à l’Ukraine. Les industriels, comme Dassault Aviation, Thales ou KNDS, sont sommés de passer à la vitesse supérieure. Mais ce n’est pas une mince affaire.
Le ministre découvre un secteur habitué à des cycles de production longs, loin des exigences d’une guerre moderne. Les lignes d’assemblage, les stocks de composants, les capacités des sous-traitants : tout doit être repensé. Lecornu n’hésite pas à plonger dans les détails techniques, un défi pour un homme politique plus habitué aux discours qu’aux chaînes de production.
Un Dialogue Tendu avec les Industriels
Les débuts sont laborieux. Les industriels, habitués à des commandes fermes, rechignent à investir sans garanties. Lecornu, lui, exige des résultats immédiats. Ce décalage crée un dialogue parfois houleux. Par exemple, en 2023, il reproche à KNDS (ex-Nexter) de ne pas anticiper la demande mondiale pour les canons Caesar, un équipement plébiscité pour sa précision.
C’est comme un boulanger qui fait le meilleur pain au chocolat. Il se lève plus tôt, embauche, et produit plus pour répondre à la demande.
– Sébastien Lecornu, L’Usine Nouvelle, janvier 2023
Cette métaphore, aussi imagée qu’incisive, illustre son approche : pousser les industriels à prendre des risques. MBDA, fabricant des missiles Aster, n’échappe pas à ses critiques. En 2024, Lecornu pointe du doigt leurs lenteurs, les qualifiant de « mauvais élève ». Pourtant, cette pression finit par payer.
Des Résultats Concrets
Après des mois de tensions, les industriels s’adaptent. Thales triple sa production de radars antiaériens entre 2022 et 2024. KNDS, de son côté, passe de 30 000 à 100 000 obus par an, un bond spectaculaire. Chez MBDA, la production de missiles Mistral à Selles-Saint-Denis explose, passant de 10 à 40 unités par mois en deux ans.
Ces chiffres témoignent d’une transformation profonde. Mais comment Lecornu a-t-il obtenu ces résultats ? En combinant persuasion et menace. En mars 2024, il n’hésite pas à brandir la possibilité de réquisitions d’usines ou de priorisation des commandes militaires. Une stratégie audacieuse, mais efficace.
La Souveraineté comme Priorité
Au-delà de la production, Lecornu s’est érigé en champion de la souveraineté industrielle. L’épisode de Photonis, une PME stratégique dans la vision nocturne, a servi de leçon. En 2021, son rachat par un groupe américain avait failli passer inaperçu. Devenu ministre, Lecornu agit différemment. En 2023, il bloque le rachat de Segault, fournisseur clé pour les sous-marins nucléaires, par un acteur américain.
Son coup d’éclat reste la relance de la production de poudre à canon à Bergerac par Eurenco. En 2023, il qualifie d’« aberration » la délocalisation de cette activité stratégique en Suède. Avec un soutien financier de l’État et de l’Union européenne, l’usine redémarre en 2025, avec six mois d’avance, visant 1 200 tonnes de poudre par an.
Relancer la production de poudre à Bergerac, c’est garantir notre autonomie stratégique.
– Sébastien Lecornu, février 2023
Les Limites de l’Approche
Malgré ces succès, Lecornu n’a pas toujours eu le dernier mot. Les programmes européens, comme le SCAF (avion de combat du futur) et le MGCS (char du futur), patinent. Les désaccords entre Dassault Aviation et Airbus pour le SCAF, ou entre KNDS et Rheinmetall pour le MGCS, freinent les avancées. Ces projets, cruciaux pour l’avenir, montrent les limites de son influence face aux rivalités industrielles.
De plus, la dépendance aux technologies étrangères reste un défi. En 2024, Lecornu doit se résoudre à acheter un supercalculateur américain auprès d’Hewlett-Packard, faute de solution française compétitive. Une réalité qu’il admet avec pragmatisme :
Beaucoup d’ordinateurs du ministère ont Microsoft. Il n’y a pas de solution française.
– Sébastien Lecornu, audition sénatoriale
L’IA, un Enjeu Stratégique
Conscient de l’importance de l’intelligence artificielle dans la guerre moderne, Lecornu lance en 2024 l’Amiad, une agence dédiée à l’IA de défense, dotée de 300 millions d’euros par an. Cette initiative vise à garder la maîtrise technologique au sein de l’État, évitant une dépendance excessive aux industriels. Une logique d’arsenal qui tranche avec l’approche collaborative habituelle.
En développant l’IA en interne, le ministère veut non seulement garantir son autonomie, mais aussi challenger les industriels pour obtenir des solutions compétitives. Cette stratégie pourrait redéfinir les rapports entre l’État et le secteur privé dans les années à venir.
Un Budget en Hausse
Les efforts de Lecornu ont porté leurs fruits sur le plan budgétaire. La loi de programmation militaire (LPM) prévoit une hausse continue des crédits, passant de 32 milliards d’euros en 2017 à 47 milliards en 2024. Mieux encore, le budget atteindra 64 milliards dès 2027, avec trois ans d’avance. Cette trajectoire, défendue par Lecornu, montre l’ampleur de son influence.
Voici les principaux impacts de son action :
- Triplement de la production de radars et d’obus entre 2022 et 2024.
- Relance de la production de poudre à Bergerac, renforçant la souveraineté.
- Création de l’Amiad pour maîtriser l’IA dans la défense.
- Hausse historique des budgets militaires.
Quel Avenir pour la Défense Française ?
Sébastien Lecornu a marqué le ministère des Armées par son pragmatisme et sa fermeté. En imposant une cadence accélérée aux industriels et en défendant la souveraineté nationale, il a repositionné la France comme un acteur clé de la défense mondiale. Cependant, les défis restent nombreux : dépendance technologique, lenteur des programmes européens et complexité des relations avec les industriels.
Son passage au ministère laisse une question en suspens : la France parviendra-t-elle à maintenir cette dynamique ? L’avenir de l’économie de guerre et de la souveraineté industrielle dépendra de la capacité à transformer ces succès en une stratégie durable.